L’ignorance, opposée à la connaissance, est volontiers stigmatisée. L’ignorant est passible du bonnet d’âne, exposé à la moquerie, marginalisé.

Le caractère négatif de l’ignorance vient soit d’un jugement extérieur, en relation avec un savoir de référence, soit d’une évaluation de conséquences dommageables pour l’intéressé du fait de ne pas savoir quelque chose. Mais le fait de savoir ou de ne pas savoir quelque chose n’est en soi ni bien ni mal.

Le maître peut dénoncer objectivement l’ignorance de l’élève qui ne connait pas la leçon qui figure dans le manuel scolaire mais, du point de vue de l’élève, l’ignorance n’est pas forcément négative. L’ignorance est négative quand le fait de ne pas savoir lire, écrire et compter conduit à échouer à un examen, ou bien à se faire rouler dans la farine par des escrocs. Elle ne l’est pas quand elle évite de se farcir la tête avec des mots et des chiffres qui ne procurent aucun plaisir et n’ont pas d’utilité concrète. L’ignorance peut même être positive quand le manuel scolaire est périmé ou que l’acquisition de connaissance se fait au détriment d’autre chose de plus important pour l’épanouissement des individus.

Les paysans du XVIe siècle ignoraient que la terre tourne mais savaient parfaitement à quel moment il fallait semer ou moissonner.

Le fait que la grande majorité des ressortissants des pays occidentaux ignorent la langue chinoise n’est pas un handicap à ce jour – pas plus qu’au XVIe siècle – mais cela pourrait changer.

Que trop de personnes ignorent les bases de l’hygiène et de la transmission de certaines maladies constitue un danger pour elles et pour la collectivité. Tout comme le fait d’ignorer les fondamentaux du code de la route.

L’ignorance des règles de la politesse d’un pays étranger peut provoquer plus de problèmes que l’ignorance des règles de grammaire.

L’ignorance des internautes qui, quand ils cliquent sur le bouton « je m’inscris » d’un réseau social, ne comprennent pas qu’ils s’engagent contractuellement, sur fond de droit californien, à céder leur données à l’entreprise qui possède le réseau, peut avoir des conséquences plus que désagréables (perte ou divulgation de données, temps perdu en réclamations).

Plus de quinze ans après la loi du 13 mars 2000, l’ignorance de la valeur légale de l’écrit sous forme électronique (qui caractérise un nombre toujours impressionnant de décideurs, dans l’administration comme dans le secteur privé) apporte encore de la confusion et des lourdeurs dans les organisations.

Le fait d’ignorer la date de naissance des enfants de Céline Dion est dramatique pour ses fans mais, pour les autres, c’est juste un peu moins de données dans un cerveau déjà très encombré.

On voit que le monde numérique modifie les relations entre les personnes et le savoir. Certes l’accès aux ressources en ligne permet de faire reculer l’ignorance des fondamentaux de tel ou tel domaine de connaissance, pour le bien être de tous mais les nouveaux fondamentaux numériques sont ignorés ! Dans le même temps, la la dictature de l’actualité et du buzz agit comme les algues sargasses qui étouffent le paysage et paralysent les activités humaines.

Le champ de la connaissance, scientifique ou people, politique ou culturelle, etc., apparaît aujourd’hui si vaste qu’il suggère un rééquilibre des relations entre savoir et ignorance.

La société connectée incite à redéfinir les bases de la connaissance utile au XXI siècle, à dénoncer la connaissance subie et à militer pour l’ignorance choisie!

À l’heure de la pollution numérique et de l’infobésité qu’elle exacerbe, l’ignorance est une vertu thérapeutique.

 

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