De fragrance à flagrance, il n’y a qu’un pas. Seule une lettre diffère, le r remplacé par un l (ces deux lettres que la langue nipponne ne distingue quasiment pas, de sorte que je prie les internautes japonais qui me lisent, if any, de bien vouloir m’excuser de ces subtilités).
Il y a cependant deux notions bien distinctes, celle de l’odorat (fragrance) et celle de la brûlure (voir le maléfice de flagrance dans Harry Potter).
Quoi qu’il en soit, le mot flagrance m’est très sympathique, plus euphonique que l’expression de flagrant délit dont il est synonyme, courante dans les services de police et chez les détectives privés chasseurs d’adultère. La flagrance est aussi une notion de l’administration sociale et fiscale.
Personnellement, j’aime lire et relire l’article L169 du livre de procédure fiscale (un de mes codes de lois préférés) : « Le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due, lorsque l’administration a dressé un procès-verbal de flagrance fiscale dans les conditions prévues à l’article L. 16-0 BA, au titre d’une année postérieure ».
On pourrait penser que cet article de code ne concerne que les fraudeurs qui, s’ils sont assurément trop nombreux, restent une minorité par rapport aux contribuables. Mais non ; les non-fraudeurs sont aussi concernés dans le sens où l’administration se réserve la possibilité d’un contrôle rétroactif. C’est là une menace pour tous car il ne suffit plus aujourd’hui, quand on est honnête, de prouver ce qu’on a fait mais aussi et surtout ce qu’on n’a pas fait. Cela requiert de conserver, de manière systématique, beaucoup plus de traces que les simples enregistrements des décisions (la vérité est une, le mensonge est multiple). Imaginons que vous n’avez jamais fraudé mais que, au bout de sept ou huit ans, un de vos collaborateurs ou un tiers maquille les comptes dans votre système ; l’administration qui constate la fraude ne sait pas a priori qui a mal agi et elle se donne le droit de remonter dix ans en arrière dans vos archives. Si les archives sont détruites, elles ne seront pas en mesure de dire qu’elles étaient sans tache.
Pour les malhonnêtes, l’administration a inventé depuis quelques années la procédure d’enquête de flagrance pour coincer les sociétés éphémères créées uniquement pour la fraude et dissoutes juste après. Quand le contrôleur fiscal soupçonne une entreprise de fraude aux cotisations sociales ou à la TVA, il peut dresser (quel verbe magnifique !) un procès-verbal de flagrance, une sorte de petit drapeau (flag) planté au milieu du champ de fraude.
Un procès-verbal de flagrance fiscale… Je trouve l’expression coulante, douce, poétique, sentiment qui n’est sans doute pas partagé par les protagonistes de la flagrance. Encore que…
Pour le responsable légal de l’entreprise, ça chauffe ! Il est vraisemblable que l’enquête de flagrance dégage pour lui une fragrance de cramé. Il est pris en quelque sorte dans le feu de son action de tromperie. Son baratin en défense, le contrôleur ne l’a pas cru. Autrement dit, le type est cuit. Une vraie déflagration morale dans l’entreprise. C’est ça, la flagrance.
Mais pour le fonctionnaire, le procès-verbal de flagrance est comme un exploit (comme un exploit d’huissier). Il concrétise l’application de la procédure ; il trace les faits au plus près de leur survenance (travail illégal, commerce sans TVA, activité illicite, fausses factures, etc.). D’autant plus que les possibilités d’investigation que procurent les technologies actuelles font du numérique un complice de la flagrance fiscale. N’est-ce pas magnifique et jouissif ?
Pour le responsable de l’archivage et de la conservation, c’est toujours agréable de gérer des documents aux noms évocateurs (surtout que l’administration conserve l’original, le contrôlé n’ayant qu’une copie via notification). Mon seul regret est de n’avoir jamais vu ni archivé un procès-verbal de flagrance. Un jour peut-être…