Question d’histoire: quel est le point commun entre le ministre allemand de la défense Karl-Theodor zu Guttenberg et Nicolas Fouquet, surintendant des finances de Louis XIV ?
La rapidité de la chute !
Le 16 février 2011, le Süddeutsche Zeitung publie une accusation de plagiat d’un professeur de droit de Brême visant la thèse de doctorat du très populaire Karl-Theodor zu Guttenberg, alors ministre de la Défense du gouvernement d’Angela Merkel, thèse de droit international soutenue en 2006 à l’Université de Bayreuth, travail qui lui a valu le titre plus qu’honorifique outre-Rhin de « Herr Doktor », avec les félicitations du jury.
Quelques jours plus tard, on parle de « 75 passages volés » puis « 200 passages « empruntés » sans mention d’auteur », « extraits de plus d’une trentaine de publications ». Des dizaines de plaintes pour violation des droits d’auteurs sont déposées ; des dizaines de milliers d’universitaires manifestent leur indignation. Une armée de e-chasseurs décortique les 475 pages et 1200 notes de bas de page de la thèse. Le verdict, publié sur le « Guttenplag Wiki » est sans appel : 94,4 % de pages plagiées !
Le 23 février, l’université de Bayreuth lui retire son titre de docteur. Guttenberg démissionne le 1er mars de son poste de ministre et le 15 mars de ses autres mandats.
Le 11 mai 2011, la commission universitaire chargée d’enquêter sur cette étonnante affaire conclut que l’ex-ministre a délibérément trompé l’Université ; l’intéressé reconnaît sa négligence mais récuse la tricherie intentionnelle.
Quelque temps auparavant…
… le 17 août 1661, le sémillant surintendant des Finances de Louis XIV donne à Vaux-le-Vicomte une fête somptueuse, pour ne pas dire royale….. Au cours des mois précédents, Colbert a pris auprès de Louis XIV la place laissée vide par la mort de Mazarin. Et Colbert n’aime guère ce collègue qui montre un peu trop sa bonne fortune et dont les méthodes de gouvernance sont à l’opposé des siennes.
Le 5 septembre 1661, Nicolas Fouquet est arrêté par d’Artagnan. Le 12 septembre, la surintendance est supprimée. Le 20 décembre 1664, Fouquet est condamné au bannissement perpétuel…
De sorte que l’illustration ci-dessus pourrait bien figurer dans le History Digest des étudiants européens de l’an 2500 au chapitre : « La roue de la fortune, ou la chute accélérée des ministres ».
Rapidité des événements. Rapidité de l’oubli des événements également. L’affaire Guttenberg a fait la une deux mois à peine, avec un petit regain en mai, avant d’être poussée aux oubliettes de l’actualité par la nouvelle actualité ; c’est la loi du genre. On peut aussi s’étonner, à l’heure de l’Europe, que la chute brutale du numéro deux du gouvernement du pays le plus proche de la France ait eu si peu d’écho de ce côté-ci du Rhin en dehors de quelques articles du Monde et du Figaro. Il est vrai que la faiblesse des notes de bas de pages est moins médiatique que la vigueur d’une déesse Ka…
Suite dans le billet « Univercité » du lundi 23 janvier.
Trouver des archives et les exploiter à bon escient est un autre point commun. Pour descendre Fouquet, Colbert a sûrement dû montrer au roi des pièces compromettant son ennemi, ce qui a sans doute bien plus compté que les fêtes et le faste de Vaux, et en tout cas le procès consécutif à l’arrestation a été abondamment alimenté par des monceaux de documents saisis dans les châteaux de l’accusé. Pour accabler le baron von und zu G, les e-chasseurs ont de même recherché des travaux sur des sujets analogues à celui qui lui avait valu son titre et les ont passés au crible pour repérer les emprunts.
Oui et non. D’accord pour dire que quand on accuse, on produit des preuves et que les preuves sont documentaires, des écrits de l’accusé, datés, qui l’engagent et l’accusent (ou l’innocentent), autrement dit des documents d’archives, à charge (ou à décharge). Mais dans l’affaire Guttenberg, la fameuse thèse apparait comme le seul document de son fait qui soit mis en cause ; les autres documents à l’appui ne sont pas de lui, l’accusation tient au plagiat non aux actions tracées dans les documents cités ; les deux affaires ne sont donc pas tout à fait comparables sur ce plan.
Ceci dit, les traces écrites ne font pas tout ; les relations humaines et les sentiments jouent un rôle non négligeable dans ces affaires, au XXIe comme au XVIIe siècle.
« Il est vrai que la faiblesse des notes de bas de pages est moins médiatique que la vigueur d’une déesse Ka… »
Oui chère Marie-Anne. la note de bas de page se perd.Il y a là quelque chose de préoccupant.
Faut-il y voir l’influence pernicieuse des nouvelles technologies?
Je te propose un sujet d’étude : « De la responsabilité du traitement de texte dans la disparition de la glose marginale. »
Nous passerons ensuite à l’autre tragédie : » De l’influence pernicieuse et conjointe de Google, des logiciels de bibliographie automatique et du copier- coller sur l’évanescence de la note de bas de page. »
Sincèrement tienne.
Tu as raison, Claire. Au-delà de cette affaire, le devenir de la note de bas de page semble bien compromis. Il faudrait peut-être tenter les notes de haut de page, ou les notes de collant de page, avec une promotion subventionnée par la maison DIM ? Et surtout, préconiser des couleurs « flashy » ; on le fait bien pour d’autres objets…
Quant au copié-collé, j’y reviens dans quelques jours.
L’Université de Bayreuth qui a retiré son diplôme à Guttenberg le lui a quand même décerné, quelques années auparavant, sans que le jury chargé d’évaluer la thèse y trouve à redire. C’est facile de tomber à bras raccourcis, après coup, sur un type que le monde entier pourchasse aujourd’hui (bien au chaud derrière l’anonymat de ses écrans) comme un vulgaire blaireau . L’université pourrait aussi en profiter pour foutre à la porte les membres dudit jury pour incompétence. Que vaut un diplôme décerné par des gens qui laissent passer «94,4%» de pages plagiées dans un manuscrit?