Marie-Anne CHABIN – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr Tue, 20 Oct 2015 18:51:57 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.3.6 http://transarchivistique.fr/wp-content/uploads/2013/03/cropped-désert-tunisien-eau-verte-2-32x32.jpg Marie-Anne CHABIN – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr 32 32 Les archives courantes, une expression logistique, confuse et contre-productive http://transarchivistique.fr/les-archives-courantes-une-expression-logistique-confuse-et-contre-productive/ http://transarchivistique.fr/les-archives-courantes-une-expression-logistique-confuse-et-contre-productive/#comments Thu, 27 Jun 2013 07:15:32 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=99 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 27 juin 2013

Ce billet entend mettre en évidence le flou archivistique (qui n’a rien d’artistique) qu’alimente depuis quelques décennies cette expression bien française d’archives courantes. Il y a déjà longtemps (notamment dans Archiver, et après ? en 2007) que je dénonce les confusions, dans les discours et sur le terrain, imputables aux « archives courantes ». Ces deux mots, ensemble mais aussi séparément hélas, désignent une réalité aux contours incertains et finissent pas décrédibiliser ceux qui les emploient. C’est pourquoi je ne les emploie plus depuis belle lurette, sauf ici, justement, pour expliquer mon point de vue.

Partant des définitions officielles, des emplois constatés de l’expression, de mes observations au cours de ma carrière, et bien sûr la théorie des trois âges et sa modification, je vais tenter de décortiquer l’expression face aux exigences d’archivage des entreprises et de l’administration aujourd’hui.

Une notion officielle qui tend vers la logistique

Les archives courantes figurent dans les glossaires archivistiques mais pas dans la loi française. Il faut le rappeler. Dans la loi sur les archives du 3 janvier 1979 comme dans celle du 15 juillet 2008 qui l’amende, l’expression « archives courantes » n’apparaît pas. On trouve évidemment la définition des archives, à savoir, dans la version 2008 : « Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ». L’adjectif « courant » n’est utilisé qu’une seule fois (article L. 212-2. du code du patrimoine) : « À l’expiration de leur période d’utilisation courante, les archives publiques autres que  celles mentionnées à l’article L. 212-3 font l’objet d’une sélection pour séparer les documents à conserver des  documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique, destinés à l’élimination ».

L’expression « archives courantes » apparaît à diverses reprises dans les décrets d’application, notamment le décret n° 79-1037 du 3 décembre 1979 qui définit la compétence des services d’archives publics. L’article 2, indique que la direction des Archives de France exerce le « contrôle de la conservation des archives courantes dans les locaux des services, établissements et organismes publics, y compris les offices publics ou ministériels, qui les ont produites ou reçues ». C’est l’article 12 dudit décret qui donne la définition : « Sont considérés comme archives courantes les documents qui sont d’utilisation habituelle pour l’activité des services, établissements et organismes qui les ont produits ou reçus. La conservation des archives courantes incombe, sous le contrôle de la direction des Archives de France, aux services, établissements et organismes qui les ont produites ou reçues ».

Ces textes officiels disent donc :

  • que les archives sont tous les documents produits et reçus par un service dans l’exercice de son activité, ce qui est très large ; beaucoup y ont vu le sens de « tout est archive », même le plus humble gribouillis qui pourrait éclairer l’historien sur tel ou tel aspect de telle ou telle affaire ; en tout cas, ce n’est pas au service producteur d’en décider mais à l’archiviste ;
  • que la qualité d’archives courantes est liée à l’usage que le service producteur a ou fait des documents ;
  • que les archives courantes sont conservées dans (par) les services producteurs.

Ces notions sont reprises par les dictionnaires archivistiques :

Archives courantes : dossiers ouverts ou récemment clos, gardés dans les bureaux pour le traitement des affaires (current records) dans le Dictionnaire des archives, français-anglais-allemand : de l’archivage aux systèmes d’information (AFNOR, École nationale des chartes, 1991)

Archives courantes : dans le cycle de vie des archives, documents qui sont d’utilisation habituelle et fréquente pour l’activité des services, établissements et organismes qui les ont produits et reçus, et qui sont conservés pour le traitement des affaires (en : current records, records), dans le Dictionnaire de terminologie archivistique, direction des Archives de France, 2002, en ligne.

La définition de la circulaire du 2 novembre 2001 relative à la gestion des archives dans les services et établissements publics de l’État, dite circulaire Jospin, varie légèrement : «  dans le cycle de vie des archives, ce sont les documents utilisés pour le traitement quotidien des affaires et dont la conservation est assurée dans le service d’origine ».

Au cours de la dernière décennie, à l’ère du web, les glossaires privés se sont multipliés. Les définitions ne sont plus seulement émises par les institutions mais formulées et diffusées par les prestataires.

On peut lire sur le site du cabinet de conseil en dématérialisation XDEMAT : « L’âge des archives courantes correspond au moment de la création des documents et des dossiers. Il dure tant que ces documents sont immédiatement et quotidiennement utiles aux affaires qui ont nécessité leur création ».

En août 2012, le Nouvel économiste consacre un article en ligne à la fonction de records manager, avec l’interview, entre autres, du consultant Philippe Lenepveu qui conclut ceci : « Les archives papiers courantes sont rangées dans les bureaux, les intermédiaires dans les couloirs et les définitives à la cave ».

Je ne prendrai qu’un exemple. J’ai pu voir à la fin des années 1980 en haut d’une armoire du bureau du directeur départemental de l’Agriculture et de la Forêt du département où j’exerçais comme archiviste départemental, deux règlements d’eau originaux, datant de 1798 (c’est bien 1798 et non 1978 !). Ces documents étaient maintenus dans ce lieu de conservation approximatif par le fait que le fonctionnaire en question estimait qu’il pouvait en avoir besoin vu que ces règlements étaient partiellement encore en vigueur et qu’il avait assez de place dans son bureau directorial. Si je considère la définition ci-dessus, ces règlements d’eau de 1798 sont des archives courantes… Si le directeur avait un bureau plus étroit et qu’il soit contraint de réduire son espace de rangement et d’éloigner certaines boîtes d’archives, les mêmes documents, d’un coup, ne seraient plus des archives courantes. En plagiant Pascal, on pourrait dire : plaisante archivistique qu’une surface borne !

En résumé, les archives courantes sont dans le bureau parce qu’elles sont utilisées, ou encore, puisqu’elles sont dans le bureau, elles sont d’utilisation courante (histoire classique d’œuf et de poule).

Mais voilà que l’on assiste depuis quelques années à un phénomène curieux : les archives courantes sortent du bureau… Le décret du 17 septembre 2009 autorise (enfin !) l’externalisation chez un prestataire de la conservation des archives publiques. En conséquence, on voit de plus en plus d’appels d’offre pour « le dépôt, la conservation et la gestion des archives courantes et intermédiaires ». Alors, les archives courantes sont dans les bureaux ou chez le prestataire ? Seraient-elles aux deux endroits à la fois ? Auraient-elles le don d’ubiquité ? Autre explication : les archives courantes courent très vite, de plus en plus vite, et font l’aller-retour bureau-prestataire en un clin d’œil. Pourquoi pas des archives sprinteuses ?

Tant que les textes de référence utilisant ce vocabulaire restaient dans la sphère des archivistes, on pouvait se dire que le flou était circonscrit. Mais la CNIL a emboîté le pas  claudiquant de l’administration des archives et repris à son compte, en 2005 les trois âges des archives version réglementation de 1979. Ainsi, la recommandation de la CNIL du 11 octobre 2005 « a vocation à s’appliquer aux archives dites courantes, intermédiaires et définitives, ainsi définies :

  • par archives courantes, il convient d’entendre les données d’utilisation courante par les services concernés dans les entreprises, organismes ou établissements privés (par exemple les données concernant un client dans le cadre de l’exécution d’un contrat) ;
  • par archives intermédiaires, il convient d’entendre les données qui présentent encore pour les services concernés un intérêt administratif, comme par exemple en cas de contentieux, et dont les durées de conservation sont fixées par les règles de prescription applicables ;
  • par archives définitives, il convient d’entendre exclusivement les données présentant un intérêt historique, scientifique ou statistique justifiant qu’elles ne fassent l’objet d’aucune destruction.

On reste, pour les archives courantes, sur un pur critère d’utilisation, sans avancer sur la valeur de conservation par le détenteur, ce qui n’aide pas à résoudre la question de la destruction des données à caractère personnel (mais ceci est un autre débat).

Même les archivistes ne comprennent pas tous la même chose…

La « logisticité » des textes serait un moindre mal si les professionnels partageaient la même interprétation de la notion d’archives courantes et mettaient derrière cette expression la même réalité. Or, on en est loin !

Mal à l’aise depuis des lustres avec l’à-peu-près des définitions officielles et leur pauvreté archivistique, j’ai souvent discuté ce point avec des collègues archivistes, discussions qui ont conforté mon constat de confusion et de blocage. Il y a bientôt trois ans, j’ai réalisé, via le forum de l’Association des archivistes français (AAF), une petite enquête, sur le sens et l’emploi des mots archives courantes et intermédiaires. Seize collègues m’ont envoyé des contributions argumentées et détaillées. Je reprends ici les principaux points de ma synthèse, toujours en ligne dans les archives du forum de l’association (je me garderai bien de dire si ce sont des archives courantes, intermédiaires  ou définitives…) :

Le panel de répondants se répartit en trois groupes :

  1. le premier groupe se déclare en ligne avec la réglementation : théorie des trois âges liant l’âge du document à sa localisation (sans critique de la valeur du document qui n’est prise potentiellement en compte que plus tard) et/ou à son usage (consultés plus ou moins fréquemment) ;
  2. le deuxième groupe utilise la théorie des trois âges mais distingue surtout deux grands blocs : les documents qui servent aux services (sans nécessairement les qualifier de courants ou d’intermédiaires qui ne parlent pas aux interlocuteurs de l’archiviste) et les archives historiques ;
  3. le troisième groupe reconnaît que la théorie des trois âges est d’abord logistique mais considère qu’elle vient en appui de la démarche de records management basée sur la valeur intrinsèque des documents et le risque de leur non disponibilité. Pour ceux qui n’ont pas suivi une formation archivistique, la frontière entre archives courantes et archives intermédiaires n’est pas très explicite mais ils contournent tant bien que mal la difficulté.

Il ressort surtout de l’enquête des interprétations opposées de ce que recouvre l’expression « archives courantes » : ce sont pour les uns « les documents qui ne sont pas encore validés » et pour les autres les documents « dès leur signature et au moment même de leur entrée en vigueur »…

Dans le flou, il est clair que :

  • l’expression « archives courantes » n’est pas comprise par les services producteurs ; elle n’est pas naturelle ; c’est du jargon d’archiviste, une expression étrangère à leur culture générale ;
  • l’adjectif « courantes », qui évoque les affaires courantes, réduit la question à un enjeu de disponibilité matérielle des dossiers, à l’usage de l’information, sans s’intéresser à la valeur intrinsèque des documents considérés ;
  • l’acception légale pan-historique du mot archives et la gestion saine d’une entreprise au XXIe siècle sont antinomiques.

Le fait est que l’on trouve aujourd’hui en France un nombre non négligeable d’individus, archivistes ou consultants, qui affirment que le records management correspond à la gestion des archives courantes, tandis que d’autres affirment, avec non moins d’aplomb, que le records management correspond à la gestion des archives intermédiaires. Et on voudrait que la France archivistique se porte bien ! Ça me suggère plutôt d’allumer un cierge à sainte Rita…

La différence d’interprétation de ce que sont concrètement les archives courantes a-t-elle un impact sur le contrôle scientifique et technique de l’administration des Archives, et plus précisément sur le visa de destruction des archives publiques ? Si j’ose poser la question : le contrôle scientifique et technique (CST) doit-il s’exercer sur les archives courantes ?, je sens déjà sur moi l’œil noir des puristes : « Toute élimination est INTERDITE sans le visa du directeur des Archives ! ». Mais si on retient l’acception « documents de travail des utilisateurs, non validés ou copies d’autres documents », le fait de soumettre la destruction de la paperasse au contrôle de quelqu’un d’extérieur qui a parfois du mal à apporter un justificatif recevable à cette exigence. Je témoigne ici de ma propre expérience car on m’a fait boire de ce vin-là au début de ma carrière, avant que je puisse m’échapper dans le vaste monde et me dégriser dans son air vivifiant.

Dans les derniers jours d’octobre 2001, sur le forum de l’Association des archivistes français, une archiviste hospitalière non chartiste (ceci n’est pas neutre) pose la question suivante, de mon point de vue tout à fait pertinente : « Je suis à la recherche d’une définition précise de « document de travail », le document de travail étant un document qui ne serait pas soumis, lors de l’élimination, au visa des AD ».

La question récolte principalement deux réponses péremptoires de la part de collègues chartistes (ceci n’est pas neutre) qui se posent en gardiens du temps. Voici deux extraits de ces réponses :

A –«  La notion de document de travail n’est pas une notion qui a cours en archivistique pour exclure du champ des archives certains documents qui ne seraient pas des archives parce que ce serait des « documents de travail » S’il s’agit de désigner les versions intermédiaires d’un texte ou d’un rapport qui est en phase d’élaboration et si l’on exclut le cas particulier des « papiers de corbeille », ces documents-là sont des archives comme les autres, au titre de « version préparatoire », « projet », etc. Ce sont simplement des pièces d’un dossier d’élaboration ou de négociation et le sort à leur donner figure en toutes lettres dans nombre de circulaires de tri et d’élimination. Ensuite,  la loi et la réglementation française ne laissent pas en principe au producteur d’archives le soin arbitraire d’éliminer en choisissant le critère lui-même ».
B – « Je m’étonne du message de NN, concernant le « document de travail ». Sous réserve de vos remarques, il me semble que la législation française ne reconnaît que les « archives » et parmi elles les « documents administratifs » (qui sont soumis à des règles de communication particulières). En effet, selon les articles 1 et 3 de la loi de 1979, tous les documents qui sont produits dans un service administratif d’un hôpital sont des archives publiques (quel que soit le statut de l’hôpital : établissement public communal, intercommunal, etc.). Il est clair que les services peuvent détruire sans visa les « papiers de corbeille » (c’est le terme de la brochure « les archives c’est simple » de l’AAF sur les archives des administrations) : brouillon (et encore, sous réserve que le brouillon ne porte pas d’annotations d’une autorité supérieure recelant des éléments uniques quant à l’élaboration de la décision), double, formulaire vierge, prospectus, documents reçu pour information n’ayant donné lieu à aucun traitement. Ce sont à ma connaissance les seuls documents (avec la documentation) qui ne nécessitent pas le visa ».

C’était il y a douze ans mais les choses ont-elles vraiment évolué ? J’ai vu il y a quelques années un jeune directeur d’Archives départementales exiger des services du Conseil général qu’ils soumettent à son visa tous les fichiers numériques entassés sur les serveurs de la collectivité, informes et oubliés, et que le service informatique voulait purger ; il faut préciser que les serveurs stockaient déjà à l’époque 85 millions de fichiers… Des sourires se dessinèrent sur les visages autour de la table de réunion ; seul l’archiviste ne les vit pas… Ayatollisme ne rime pas avec raisonnabilité.

Enfin, on peut faire remarquer que les archives courantes sont finalement rarement considérées pour elles-mêmes, seules, en tant qu’entité indépendante. Elles sont presque toujours chaperonnées par les archives intermédiaires (qui, elles, sont plus émancipées et sortent parfois non accompagnées…) : on parle très peu d’archives courantes ; on parle souvent d’archives courantes et intermédiaires. J’en veux pour preuve le rapport « Quel avenir des Archives de France ? », présenté en mars 2011 par Maurice Quénet, dont j’ai déjà regretté le conformisme dans un autre billet. On trouve dans ce rapport 14 occurrences de l’expression « archives courantes » et les 14 fois, elle est accolée à « intermédiaires ».

Les archives courantes et intermédiaires, ce sont les Dupont et Dupond de l’archivistique, ils sont toujours ensemble et on a du mal à les distinguer ! La comparaison est-elle flatteuse ?…

Avec une grande école qui forme les archivistes depuis 1821, avec une dizaine de formations universitaires en archivistique, avec une association professionnelle créée en 1904, comment se fait-il que les concepts de base soient encore si flous en France ?

Les archives courantes, un machin contre-productif pour l’archivage…

Pendant ce temps, les services producteurs se demandent : « Mais, parmi tous ces documents, que faut-il archiver ? ».

Il y a nécessité pour une entité juridique d’archiver les documents qui l’engagent et constituent sa mémoire institutionnelle, par opposition aux documents informels, redondants, pléthoriques, qui ne présentent pas d’intérêt pour l’institution, qui ne sont ni authentiques, ni fiables, ni exploitables. Or, cette partie de l’ensemble des données circulant dans l’entreprise est, du fait des outils de reproduction et des réseaux, toujours plus large dans l’entreprise. Ma pratique de l’entreprise ne me laisse aucun doute là-dessus.

Le néologisme « documents d’activité » pondu par l’Afnor il y a deux ans ne change rien à l’affaire ; ce n’est pas une question de traduction, c’est une question de compréhension !

On assiste à un dialogue de sourds entre le dogme « tout est archive » et la vraie vie dans les entreprises. D’un côté, le slogan « il est interdit d’éliminer quoi que ce soit sans le visa de l’administration des archives » parfois empreint d’un complexe de supériorité ; de l’autre les monceaux de dossiers ventrus, entassés sans hygiène documentaire, engraissés par le tsunami numérique des réseaux et de la messagerie.

Le records management est à la mode en France. On m’objectera que c’est plus qu’une mode, que c’est une nécessité pour maîtriser l’information numérique. Oui, en soi, c’est bien cela. Mais c’est aussi une mode dans le sens où certains se parent d’un surplis « RM » par-dessus de vieux oripeaux pour faire croire qu’ils sont dans le coup. Ils ne trompent que ceux qui aiment à se laisser abuser par des formules anglo-saxonnes ou que le jargon rassure.

Ce qui caractérise avant toute autre chose le records management, c’est qu’il commence par distinguer ce qui est « record » de ce qui ne l’est pas, sur la base de la valeur que porte le document pour celui qui le détient. Sont reconnus ou déclarés « records » les documents qui engagent l’auteur et le destinataire et/ou qui présentent une valeur métier à être conservés par l’entreprise ou l’institution productrice. Par opposition, les autres documents, ce qui relève de la documentation de travail sans valeur justificative ou explicative (copies de documents externes ou éléments intermédiaires non validés de fabrication des documents définitifs) ne doivent pas être archivés.

La réglementation française ne dit pas cela ; elle dit même le contraire. Ce point est capital car c’est là le fond du problème.

Le schéma ci-dessous, capturé d’un site néo-zélandais il y plusieurs années (il n’est plus en ligne), illustre parfaitement le moment de la record creation, le moment où le document, du fait d’un workflow prédéfini ou du fait d’un choix humain, passe de l’environnement utilisateur (user controlled) à l’environnement d’entreprise (corporate controlled), moment où il est pris en charge par des règles d’entreprise (et les outils associés, le cas échéant).

Flèche rouge néozélandaise

Le records management, donc, distingue les records des non records. Ce principe est essentiel et pourtant il est quasiment absent de la pratique française.

A titre d’exemple, voici la liste des « non records » que l’on trouve dans les pages web « records management » de l’État du Colorado (US) et que mes étudiants connaissent bien : « Il n’y a aucune obligation de conserver les types de documents suivants; ils peuvent être détruits dès qu’ils n’ont plus d’utilité pour leur détenteur :

  • Journaux et imprimés reçus de l’extérieur, publicité commerciale
  • Copies de correspondance, etc. n’ayant qu’une valeur de diffusion
  • Bordereaux d’envoi sans information additionnelle
  • Notes et mémos qui ne tracent aucune responsabilité
  • Brouillons des lettres, notes, rapports, etc. qui ne comportent pas d’éléments significatifs pour la production des documents engageants.
  • Fiches de circulation des documents, post-it, mémos
  • Stocks de publications périmés.
  • Messages téléphoniques sans valeur ajoutée.
  • Livres ou objets de musée acquis à des fins culturelles.
  • Copies de documents déjà archivés.
  • Notes manuscrites ou enregistrements qui ont été transcrits.
  • Documents temporaires ou intermédiaires sans lien avec la décision ».

Cette liste ne soutient pas la comparaison avec l’expression d’antan « papier de corbeille ».

Il me faut maintenant revenir à l’origine de l’expression française « archives courantes » et à la formation de la non moins française théorie des trois âges des archives. Je ne saurais affirmer que l’expression « archives courantes » n’existait pas avant les articles d’Yves Pérotin (toujours difficile de prouver une non-existence…) mais il est certain que c’est à Yves Pérotin que l’administration des Archives l’a empruntée. Malheureusement, la définition a été biaisée, charcutée, et surtout la pensée d’Yves Pérotin a été trahie.

Que proposait Yves Pérotin ?

Pérotin était l’archiviste du département de la Seine à la fin des années 1950. À cette époque, les bureaux de l’administration commençaient déjà à déborder, au moins à Paris, et Pérotin eut à cœur de proposer des solutions adaptées pour les archives de ces services. Il alla donc faire du « benchmark » aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où des procédures de « records management » se mettaient en place. En 1961, il formula la théorie des trois âges. Voir plus de détail : http://www.marieannechabin.fr/archiver-et-apres/2-archiver-ou-conserver/.

Il transposa en français les expressions anglo-saxonnes current records, non current records et archives en archives courantes, archives intermédiaires et archives archivées (au passage, l’opposition records/archives est toujours aussi difficile à restituer…). Mais dans l’esprit de Pérotin la notion de records était clair.

Pérotin explique que, pour le premier âge des archives, « il faut seulement obtenir que les bureaux fabriquent de bonnes archives et constituent des dossiers que n’encombrent pas les inutilités ». Il prêche donc pour une intervention dans la production des dossiers limités aux seuls documents pertinents.

On est loin du tri a posteriori. On est loin de « À l’expiration de leur période d’utilisation courante, les archives […] font l’objet d’une sélection pour séparer les documents à conserver des  documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique, destinés à l’élimination » (article L. 212-2. du code du patrimoine).

On est proche en revanche de cette exigence de produire de bonnes archives (to create relevant records) sans cesse rappelée dans les normes internationales sur le records management et dans de nombreux documents de référence, par exemple dans ce Records Management Maturity Model que propose le site britannique JISC.InfoNet qui énonce: “Institutions should decide – and staff must know – what records need to be created and kept to protect the interests of the organisation and its stakeholders”. La vision de la loi française sous-tend cette idée que seuls les archivistes seraient habilités à dire ce qui est important pour l’histoire. Les producteurs disent si c’est utile pour eux ou pas, puis les archivistes déménagent ce qui n’est plus utile et en font leurs choux gras. On navigue entre hypocrisie et défiance.

Par ailleurs, il est tout à fait possible pour un archiviste curieux et attentif de sélectionner pour les archives historiques des documents qui n’ont jamais été archivés as records, par leur producteur; c’est ce que j’ai essayé de démontrer avec la théorie des quatre-quarts dans mon billet sur les archives historiques.

Conclusion

Les promoteurs de la loi française sur les archives n’ont pas compris ou pas voulu comprendre ce qu’Yves Pérotin s’est efforcé d’expliquer à l’administration française. La loi de 1979 est une loi « orientée histoire » (celle de 2008 tout autant) et à ce titre elle a sa place dans le code du patrimoine.

Ce qui manque en France, c’est une loi sur l’archivage, par opposition à une loi sur les archives. Une loi sur l’archivage des documents qui ont une valeur d’archives pour l’administration qui les produit ou reçoit, ces documents qui engagent la responsabilité de l’administration, des établissements publics, des collectivités voire des entreprise, une loi qui donne un cadre à la production, au classement et à la conservation des documents publics dont les services publics sont comptables, propriétaires et responsables. On a des bouts ; on n’a pas de politique publique sur l’archivage.

Mais l’espoir n’est pas perdu quand on voit que de jeunes archivistes font l’effort de relire Pérotin cinquante ans après et qu’ils comprennent tout à fait normalement ce que Pérotin expliquent ; voir à ce sujet le billet de Lourdes Fuentes Hashimoto et Pierre Marcotte.

Supprimez les archives courantes !

Libérez les archivistes !

Réhabilitez l’archivage !

Il n’y a pas sur ce blog le petit « like » qu’on trouve habituellement ni de « unlike » ; je l’ai enlevé car ce petit pouce me fait trop penser au cirque romain… Mais vous pouvez-vous exprimer pour dire, non pas si vous aimez ou pas, mais les points avec lesquels vous êtes en phase ou en désaccord (bouton « Réagir » en haut de la page). Sinon, merci de répondre au sondage (anomyme).

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Le mètre linéaire, unité de mesure des archives http://transarchivistique.fr/le-metre-lineaire-unite-de-mesure-des-archives/ http://transarchivistique.fr/le-metre-lineaire-unite-de-mesure-des-archives/#comments Sun, 26 May 2013 18:49:50 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=73 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 26 mai 2013
Je m’étonne toujours que « mètre linéaire » soit le mot-clé le plus utilisé par les internautes qui consultent mon blog www.marieannechabin.fr, même si j’ai évoqué le sujet plusieurs fois. Ce constat m’a inspiré le billet Rigolo mais j’avais gardé l’idée de creuser le sujet dans un cadre plus archivistique. Ce que je fais aujourd’hui.

J’aborderai successivement la définition du mètre linéaire d’archives et son usage, sa valeur archivistique limitée, les métrages de référence, l’équivalence avec les archives numériques et les autres indicateurs de mesure.

Une unité de mesure logistique

Les dirigeants qui se sont penchés sur la question de l’archivage aiment à dire qu’ils savent que les archives se comptent en mètres et en kilomètres. C’est la preuve qu’ils ont fait l’effort d’utiliser le vocabulaire des archivistes et qu’ils ont pris conscience du volet logistique de l’archivage, car un kilomètre d’archives nécessite pour le stocker une surface non négligeable, c’est-à-dire, en standard, une salle de 170 m² ; dix kilomètres nécessiteront une surface de stockage d’environ 1700 m². Les Archives nationales conservent plusieurs centaines de kilomètres. Certaines administrations déployées sur l’ensemble du territoire français ont aujourd’hui à gérer plusieurs milliers de kilomètres d’archives…

On trouve ici et là plusieurs définitions du mètre linéaire appliqué aux archives, certaines plus rigoureuses que d’autres. Je retiens celle du Dictionnaire de terminologie archivistique des Archives de France de 2001 : « Unité de mesure des archives correspondant à la quantité de documents rangés sur une tablette d’un mètre de longueur ». Une armoire de bureau permet de ranger 5 à 6 mètres linéaires de documents.

mètre linéaire 1

Le mètre linéaire est utilisé pour l’organisation du stockage en prenant en compte la hauteur des archives (par exemple, boîtes en carton de 32 à 33 cm de haut ou registres reliés de 60 cm), le sens dans lequel les objets sont posés sur le rayonnage (à la française quand les boîtes sont « debout », à l’italienne quand elles sont « couchées ») et de leur poids afin de respecter la résistance des planchers. Un mètre linéaire d’archives pèse en moyenne 50 kg.

Pour du stockage plus massif, on peut estimer les volumes en mètres cubes, avec une équivalence de 10 à 12 mètres linéaires par mètre cube.

Le mètre linéaire est l’unité de base pour calculer les coûts de stockage des archives par les prestataires spécialisés, avec des variations de tarifs dues à la localisation géographique (coût du m²), à la nature et la qualité des équipements (solidité, sécurité, fonctionnalités), à la granularité du conditionnement des documents et aux modalités de gestion. Le stockage d’un mètre linéaire coûte de 3 à 15 € en fonction des options retenues.

Unité de mesure des volumes, le mètre linéaire est également utilisé pour décrire les opérations de traitement des archives, rapporté à l’unité de temps qu’est la journée. Le ratio pour un relevé sommaire du contenu de boîtes d’archives est ainsi de 20 mètres linéaires par jour ou de 10, l’inventaire plus détaillé allant de 5 ml par jour à moins d’un mètre, la différence venant de la nature des documents, de leur état de classement, du détail de la description ou du traitement matériel, et de l’habileté de l’archiviste. Les coûts de traitement étant liés au nombre de jours, on obtient ainsi des ratios allant de 20 à 150 € HT le mètre linéaire inventorié.

Le mètre linéaire est encore la façon de mesurer la taille d’un gros dossier, indépendamment de son rangement. Ainsi, Cour européenne des droits de l’homme mentionne-t-elle que son dossier judiciaire le plus volumineux est l’affaire Irlande c. Royaume-Uni (1978) avec 791 mètres linéaires. De quoi poser sa candidature au livre des records (au sens français du terme of course).

Élasticité du mètre linéaire d’archives

mètre linéaire 2Le mètre linéaire désigne la quantité d’archives stockées sur un mètre de rayonnage, sans distinguer le contenant et le volume « utile » d’archives, c’est-à-dire les documents eux-mêmes. C’est dans ce sens que l’on peut parler d’élasticité (voir le billet sur le sujet).  En effet, les mêmes documents archivés peuvent occuper un volume final qui va facilement du simple au quadruple selon les conditionnements utilisés (pochettes, sous-chemises, chemises, classeurs, boîtes) et le coefficient de tassement des documents à l’intérieur.

Il existe d’autres facteurs, liés à la production des documents, qui ont un impact sur le volume final déposés dans les rayonnages, notamment :

  • le grammage du papier : 6 grammes environ pour une feuille de papier 21 x 29,7 de qualité 80 gr, moitié moins pour du papier pelure, plus pour les chemises,
  • la pratique du recto-verso qui produit un écart du simple au double,
  • la taille de l’écriture (pour les manuscrits mais pas seulement) et la mise en page, avec les débordements imprimantes mal réglées qui impriment la dernière ligne d’un formulaire sur une 2e page.

Le même contenu peut donc s’incarner dans des métrages largement extensibles. La place occupée par les supports d’un même nombre de mots peut aisément aller du simple au décuple, de sorte que le contenu « utile » est assez difficile à évaluer.

L’équivalence la plus courante entre le nombre de feuilles et le mètre linéaire est de 7000 feuillets dans un mètre, avec un nombre de pages qui peut aller jusqu’à doubler (5000 à 10000), et un nombre de « documents » ou de « pièces » qui, lui, peut varier de quelques dizaines à plusieurs milliers.

Le mètre linéaire n’est donc pas très parlant pour décrire les archives, a fortiori pour le grand public qui n’est pas coutumier de ces évaluations. C’est pourquoi les journalistes utilisent plus volontiers d’autres termes. Lors du procès AZF en 2008-2009, plusieurs journaux on évoqué l’épaisseur du dossier d’instruction : « 105 tomes de documents dont 7 mille procès verbaux et 9 mille pièces » (Mediapart) , « un dossier d’instruction qui compte pas moins de 53.820 pages »( Les Echos)

ce qu’on peut traduire par 16000 documents de 3 ou 4 pages de moyenne, soit environ 8 mètres linéaires (à vérifier) mais l’expression journalistique signifie surtout « volumineux » pour un public profane en la matière, un peu comme au Moyen âge, on parlait d’une armée ennemie de 666 guerriers…

Métrage et valeur : des petits pois et des archives

On mesure le linéaire d’archives comme on mesure le linéaire de produits manufacturés, par exemple des petits pois. C’est bien ce qu’il faut faire d’un point de vue logistique de pur stockage et d’occupation de l’espace. Cependant, les archives présentent une différence majeure d’avec les produits manufacturés : tandis que ceux-ci sont produits et gérés en nombre, par centaines ou par milliers, dans les linéaires d’entrepôts ou de gondoles, celles-là sont uniques. Le contenu de chaque dossier, de chaque boîte, de chaque carton est unique. S’il peut arriver qu’il y ait des « clones documentaires », c’est une erreur de gestion.

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Or, si on conserve les archives, c’est bien pour cette valeur unique et non pour leur volume. De sorte que parler de mètres linéaires d’archives sans les qualifier n’a pas grand intérêt.

Ce point est d’autant plus important à souligner que a) les volumes d’archives (ou supposées telles) sont aujourd’hui faramineux et que cela est coûteux ; b) l’échelle de valeurs et des risques associés est assez large.

Si un mètre linéaire d’archives pèse environ 50 kilogrammes, un mètre linéaire de pièces justificatives de remboursement de prestations sociales n’a pas le même « poids archivistique » qu’un mètre linéaire du fonds d’un président de la République après traitement par les conservateur des Archives nationales.

L’information sur la valeur est partielle si on ne connaît pas les dates correspondant à la production de ces archives, intéressantes ou banales, afin de comparer les volumes produits pendant telle période à la production de la période précédente ou suivante, comparaison particulièrement  instructive pour quiconque veut véritablement gérer les fonds d’archives dont il a la charge. Par exemple, un service d’archives écrit dans son rapport annuel 2010 qu’il a reçu en 2009 50 ml de boîtes d’archives de la direction de l’Agriculture. Fort bien mais :

  • s’agit-il de la série des comptes rendus de réunion des comités agricoles depuis vingt-cinq ans ou des formulaires de l’enquête sur la mécanisation des exploitations réalisée il y a trois ans ? S’il s’agit des comptes rendus de réunion, sont-ils exhaustifs ? Concernent-ils tous les comités agricoles ayant siégé au cours de la période dans la circonscription en cause ? Y a-t-il des lacunes dans la série ?
  • s’agit-il des dossiers dont la direction ne veut plus ou, au contraire de ceux qu’elle veut voir conservés en toute sécurité ?
  • quel métrage cette direction a-t-elle versé aux archives l’année précédente ? Et l’année d’avant ? Les contenus sont-ils comparables ?

Il est vrai que si les versements aux archives se font à l’occasion des déménagements, englobant tout ce qui reste dans les bureaux après que les gestionnaires aient transportés les dossiers en cours dans les nouveaux locaux, la comparaison est difficile…

Y a-t-il des métrages de référence ?

Pour être autre chose qu’une donnée logistique, le métrage linéaire « absolu » doit donc être qualifié en relation avec le processus producteur des archives (décisions officielles, contrats avec leurs pièces justificatives, correspondance, études, copies d’élèves, dossiers patients, etc.) et comparé ou comparable au métrage d’une période de production équivalente ou d’un producteur similaire.

N’existerait-il pas des métrages de référence, des standards, pour guider les archivistes dans l’évaluation des opérations de versement et dans les prévisions de collecte?

Jean Favier, directeur général des Archives de France (du temps révolu où les Archives de France étaient une direction de ministère) avait coutume de dire, lors de ses brillants discours d’inauguration de bâtiments d’archives départementales – et ils furent nombreux dans les années 1980 – Jean Favier avait coutume de dire qu’un agent de l’administration produisait en moyenne un mètre linéaire d’archives par an.

Un mètre linéaire par an et par agent. La formule est simple et efficace. Il est évident qu’il s’agit plus d’un slogan inspiré que d’un constat de terrain mais il y avait besoin d’énoncer cette équivalence, ce repère, tant pour les archivistes que pour les décideurs. Sur ce point, Jean Favier n’a pas été officiellement démenti. À noter que cette équivalence est aujourd’hui introuvable sur Internet et on serait tenté de croire qu’elle n’a  jamais existé mais j’en ai été à plusieurs reprises le témoin oculaire et je peux donc la rapporter.

Je dois avouer que j’ai souvent repensé à cette formule au cours des missions de conseil de mon cabinet Archive 17 [lien], quinze à vingt ans plus tard, quand j’ai été amenée à calculer ce type de ratio. Le chiffre moyen calculé récemment pour une administration regroupant plus de 100 000 agents est de 3,5 mètres linéaires par an et par agent, ce qui est beaucoup mais cette moyenne n’est pas pertinente car elle fusionne deux chiffres distincts : 4,2 mètres linéaires par agent et par an pour les services qui gèrent de nombreuses pièces justificatives ; 1,8 mètre linéaire par agent pour les autres services. Au regard de la moyenne Favier, il y aurait donc inflation (de 1 à 1,8 ml), ce qui n’est pas surprenant, les dernières décennies ayant connu une inflation notable de la paperasse et la fameuse « dématérialisation », axée sur le support, n’ayant pas ou pas encore produit des résultats significatifs sur les volumes papier.

Les chiffres ci-dessus concernent le volume de  documents archivés par une administration pour assurer ses besoins de mémoire et la gestion des risques contentieux. Peut-on en déduire un ratio de production pour les archives historiques ? À partir du moment où les archives historiques représentent un pourcentage des documents archivés dans un premier temps pour les intérêts du producteur (1% ? 5% ?), on peut en déduire mathématiquement un ratio mètre linéaire / agent administratif. Mais l’opération de sélection de ce qui présente un intérêt pour la mémoire collective ou la recherche éloigne les archives des acteurs individuels et il est plus logique d’évoquer un ratio institution/mètre linéaire, a posteriori forcément.

mètre linéaire 3

Il n’existe pas de référence officielle là-dessus mais on peut en extraire de la publication des inventaires, notamment des archives nationales ou départementales.

En comparant le métrage linéaire des fonds de la présidence  de la République française sous Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand, traitées avec la même rigueur par les conservateurs des archives nationales, et en rapportant ces métrages au nombre d’années de leurs mandats respectifs, on obtient une moyenne annuelle de 29 ml pour G. Pompidou et de 86 ml pour chacun de ses deux successeurs.

Dans mon billet « Linéarité »,  je me suis interrogée des métrages de cabinets ministériels figurant dans le rapport du conseiller d’État Maurice Quénet intitulé « Quel avenir des Archives de France ? » (2011). 20,8 mètres linéaires d’archives ont été collectés pour le cabinet d’Alain Richard et 70 ml pour celui de Michèle Alliot-Marie, pour une même période (cinq ans). La moyenne annuelle, à savoir 18,16 mètres linéaires d’archives de cabinet par ministre de la Défense a-t-elle du sens ? Comment expliquer que le cabinet d’un ministre produit trois fois plus d’archives que son prédécesseur ? Cela existe la curiosité : équipe plus paperassière que l’autre ? Documents de natures différentes ? Autre raison ?

On constate toutefois, de Pompidou à Alliot-Marie, une inflation continue. Quousque tamdem ?

Cette disparité entre des fonds d’archives a priori comparable n’est pas récente. Dans mon livre Je pense, donc j’archive (L’Harmattan, 1999, chapitre 3), je revenais sur les volumes de la série X des Archives départementales qui regroupe, pour chaque département, les archives relatives à prévoyance sociale et d’administration hospitalière pour la période 1800-1940. Les métrages de série X, cités dans une très intéressante enquête réalisée par Isabelle Delabruyère-Neuschwander et présentée lors d’une journée d’étude organisée en 1994 par l’Association des archivistes français sur les archives de la santé, sont étonnamment hétérogènes : 13 mètres linéaires pour les Pyrénées-Orientales, 350 mètres pour la Côte-d’Or, 725 mètres pour l’Eure. Les chiffres ne sont proportionnés ni au nombre de communes ni à la population et leur explication, à étudier de plus près, relève sans doute de critères multiples. Quoi qu’il en soit, il est bien difficile d’établir un lien fiable entre les volumes d’archives et leurs producteurs.

Métrage linéaire et archivage numérique

Il est sans doute toujours possible d’approfondir cette notion de métrage linéaire de référence selon les types d’archives ou les types de producteurs. Mais la question perd de sa pertinence avec la dématérialisation progressive même si nous en avons pour encore une bonne dizaine d’années à voir des boîtes d’archives remplies de dossiers papiers dans les bureaux, tant les mentalités évoluent lentement et sont perturbées par des idées reçues diverses et variées : l’archivage numérique est cher, l’archivage numérique est bon marché, il n’y a que le papier qui fait foi (il y a des gens qui sont très en retard dans leur lecture de la réglementation et qui n’ont pas encore lu le journal officiel de mars 2000…), etc.

La production numérique native s’impose toutefois progressivement. Et les unités de mesure ont changé : le Gigaoctet a remplacé le mètre linéaire. Avec une difficulté nouvelle due à l’élasticité de la chose mesurée, bien pire qu’avec le papier. Le grammage du papier, l’impression recto-verso ou l’insertion de nombreuses sous-chemises a un effet sur le volume des archives papier. Mais le procédé de numérisation ou de création numérique, l’utilisation croissante d’images numérique ou d’objets animés, l’impact de la facilité numérique sur le nombre de fichiers produits et archivables, le développement des capacités de stockage, font que la courbe du poids numérique des archives grimpe bien plus vite que la courbe du nombre de documents.

métrage linéaire num

Les équivalences proposées entre papier et numérique au début des années 2000 sont largement périmées par l’évolution des technologies et les options de format et de définition :

  • un cédérom de 650 Mo (20 grammes) permet de stocker  250 000 pages de texte, ou 2 à 100000 photos couleurs, ou 20 000 pages scannées, ou 2 heures de vidéo ;
  • un document de 100 pages (1 cm) occupe 1 mégaoctet ; par conséquent, 1 Go = 10 ml.
  • etc.

Le poids des fichiers numériques a bien sûr un impact sur le volume stocké mais on peut observer que les volumes archivés et conservés sciemment et à bon escient ne constituent qu’une petite partie du grand magma stocké sur les kyrielles de serveurs (à proximité ou dans le nuage), de sorte que le problème du poids des « vraies archives » n’est pas le principal problème des coûts de stockage. En revanche, cette instabilité des poids des fichiers numériques ne permet pas de définir un poids numérique de référence pour la production des documents et pour l’archivage.

Or, comme le dit, fort bien, la loi du 3 janvier 1979, le support n’est pas discriminant dans la définition des archives. On devrait donc logiquement pouvoir disposer pour l’archivage et la gestion des archives d’unités de mesure proprement archivistiques, c’est-à-dire qui transcendent le support. Dans un deuxième temps, pour tels ou tels documents, on pourra s’interroger sur leur support d’archivage ou leur volume et sur les possibilités d’amélioration en termes de pertinence et de coûts de gestion de l’ensemble.

Développer des indicateurs de mesure archivistiques

Il serait donc utile de développer d’autres indicateurs de mesure des archives, des indicateurs de la valeur archivistique des documents archivés.

Il me semble que les deux principaux indicateurs pourraient être :

  1. le nombre et la nature des actes : j’emploie délibérément le mot « acte » au lieu de document, bien que les archives soient loin de ne comporter que des actes au sens fort du terme (loi, contrat) car je veux insister sur les archives en tant que traces d’une action engageante vis-à-vis d’autrui ou jugées importantes pour la gestion ou la mémoire; et aussi pour souligner l’importance de la structure de ces traces, organisées soit en collections chronologiques d’actes (registre, base de données, chrono), soit en série de dossiers répondant aux objets gérés (clients, immeubles, projets…); ce qui mérite d’être archivé se caractérise par un statut (décision, contrat, compte rendu …) avec un document majeur (document maître) qui agrège autour de lui un certain nombre de documents périphériques et solidaires; cette réflexion est à relier avec les « six types of records » du projet InterPARES sur lesquels je reviendrai un autre jour;
  2. le degré d’exhaustivité de la série : l’évaluation de l’exhaustivité des archives par rapport à l’activité qu’elles tracent ou sont censées tracer apparaît une donnée particulièrement  instructive pour caractériser les archives; le fait de savoir que des documents ont été perdus ou détruits, ou qu’il s’agit d’un échantillon, ou encore qu’on a affaire à des dossiers intégralement conservés mais nativement lacunaires est plus qu’utile pour appréhender un fonds.

Il est plus important de savoir que l’on a archivé tous les registres du conseil d’administration de telle entreprise ainsi que l’exhaustivité des études techniques pendant telle décennie, que de savoir que l’on dispose de 75 mètres linéaires d’archives de cette entreprise sans savoir ce qu’elles tracent ni s’il s’agit de séries complètes. Il est bien évidemment utile d’avoir les deux mais, le volume n’intervient qu’en second, en comparaison des volumes que représentent les lots d’archives comparables dans le temps ou dans l’espace.

Jusqu’à preuve du contraire.

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http://transarchivistique.fr/le-metre-lineaire-unite-de-mesure-des-archives/feed/ 2
Qu’est-ce que les archives historiques? Définitions et théorie des quatre-quarts http://transarchivistique.fr/definition-archiveshistoriques/ Wed, 24 Apr 2013 11:46:13 +0000 http://transarchivistique.fr//?p=1 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 24 avril 2013

Il n’existe pas de définition légale des archives historiques

La loi française définit les archives comme « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité » (code du patrimoine , article L211).

La loi ne définit pas les archives historiques mais laisse entendre ce qu’elles sont dans les derniers mots de l’alinéa qui suit la définition : « La conservation des archives est organisée dans l’intérêt public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la documentation historique de la recherche ». On peut en déduire une définition des archives historiques liée à leur fonction, leur usage, à savoir servir de sources documentaires aux chercheurs. On serait tenté d’ajouter : « quand la recherche porte sur les choses du passé, récent ou ancien » mais ce serait réducteur car on peut tout à fait utiliser les archives historiques pour étudier le présent ou l’avenir (je dirais même que c’est recommandé…).

signatures rPar ailleurs, le code du patrimoine décrit plus précisément un des modes d’entrée dans les archives historiques. C’est le « classement parmi les archives historiques » par analogie avec le classement parmi les monuments historiques institué par Mérimée au XIXe siècle (article L212-15). Ce classement ne concerne toutefois que des archives privées dont l’autorité administrative estimerait a) qu’elles « présentent pour des raisons historiques un intérêt public », et b) que l’attitude de leur propriétaire les met en danger de destruction ou de sortie du territoire français.

Sur la question de savoir à partir de quand des archives sont historiques, s’il y a un âge pour les archives, un délai pour bénéficier de ce qualificatif ou le revendiquer, la réglementation est peu explicite. Qu’est-ce qui est historique dans ce domaine ? Les archives qui ont plus de cent ans ? Sans doute. Les archives qui ont plus de cinquante ans ? Plus de dix ans ? Plus d’un an ?…

Dans la réglementation française, le facteur temps n’entre pas dans la définition ; seul l’intérêt des documents compte. Divers textes d’application de la loi évoquent toutefois le moment charnière où les archives (telles que définies ci-dessus) « font l’objet d’une sélection pour séparer les documents à conserver des documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique, destinés à l’élimination ». Les archives retenues par cette sélection constituent les archives historiques, quel que soit le moment où cette sélection intervient, en général « à l’expiration de leur période d’utilisation courante », expression assez floue elle-même quant à l’âge des documents concernés. On peut constater sur le terrain que cette affirmation réglementaire (le texte dit : les archives « font » l’objet d’une sélection et non « doivent faire l’objet ») n’est pas rigoureusement observée.

Le chapitre du code du patrimoine relatif au régime de communication des archives publiques (article L213) définit les différents délais au-delà desquels les archives sont communicables. Ces délais, outre la communicabilité immédiate, s’étende de 25 à 100 ans mais le terme « archives historiques » n’est pas utilisé dans ce chapitre ; on en déduit que les délais s’appliquent également à des documents qui auraient une valeur administrative mais pas de valeur historique, ce qui se conçoit.

Le Dictionnaire de terminologie archivistique, élaboré en 2002 par la direction des Archives de France ne va pas plus loin dans sa double définition de l’expression « Archives historiques » :

http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/3226

  1. Documents conservés ou à conserver sans limitation de durée pour la documentation historique de la recherche.
  2. Archives privées ayant fait l’objet d’une mesure de classement par arrêté du ministre chargé de la culture.

Pour la première définition, le dictionnaire renvoie à l’expression « Archives définitives » qui recouvrent l’ensemble des documents conservés à l’issu d’un tri, que ce soit « pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées » ou « pour la documentation historique de la recherche ».

On relève cependant que « archives historiques » est un concept plus large car il englobe non seulement les documents « conservés » mais aussi les documents « à conserver », ce qui renvoie bien à l’intérêt que présentent les documents, traités ou pas.

Les règlements européens

En 1983 puis en 2003, le Conseil de l’Union européenne arrête un règlement relatif à l’ouverture au public des archives historiques de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Ce règlement est particulièrement  intéressant car il associe à la définition d’archives historiques la notion de temps.

Dès le premier article, le texte dit que les institutions européennes doivent établir des archives historiques et qu’elles doivent les rendre accessibles après trente ans à compter de la production des documents.

L’article précise : « les termes « archives historiques » désignent la partie des archives des Communautés européennes qui a été sélectionnée, dans les conditions prévues à l’article 7 du présent règlement, pour une conservation permanente ».

virementL’article 7 introduit un nouveau critère temporel dans le processus de constitution des archives historiques : « Quinze ans au plus tard après leur production, chaque institution transmet à ses archives historiques tous les documents contenus dans ses archives courantes. Selon des critères à établir par chaque institution en vertu de l’article 9, ces documents font ensuite l’objet d’un tri destiné à séparer ceux qui doivent être conservés de ceux qui sont dépourvus de tout intérêt administratif ou historique ».

Le tri dont résulteront les archives historiques intervient « au plus tard » entre l’âge de quinze ans et l’âge de trente ans. On peut en déduire que les archives historiques sont a minima les archives de plus de trente ans, et que le statut d’archives historiques s’acquiert à cette date ou à l’âge de 15 ans voire avant.

L’accessibilité des archives au public, dont la règle générale est de trente ans, connaît aussi des exceptions pour des raisons de protection de la vie privée, des intérêts commerciaux et des procédures juridictionnelles. À noter que l’accessibilité n’intervient pas dans la définition des archives historiques. Elle intervient dans leur gestion et leur utilisation.

Ce qui est nouveau dans ce règlement est la date butoir de versement au fonds des archives historiques des documents de plus de quinze ans, avec les quinze années de plus pour effectuer le tri, avant cette seconde date butoir de trente ans qui correspond à la mise à disposition du public.

Pour qui connaît les tris d’archives, ce texte est ambitieux. Il y a là une obligation de résultat qui interroge sur les moyens à mettre en œuvre, mais aussi sur la méthode de tri.

L’article 9 du règlement, qui fait obligation aux institutions de « publier annuellement une information concernant ses activités en matière d’archives historiques » est également assez nouveau et contraignant au regard des pratiques existantes d’une manière générale (en dehors des institutions européennes). Le fait de devoir communiquer, un tant soit peu sur le fonds d’archives historiques oblige à mesurer non seulement les volumes mais encore la nature des documents et leurs dates, la proportion qui est communicable ou non communicable, l’état de classement et d’inventaire.

Essai de définition des archives historiques

Dans mon Nouveau glossaire de l’archivage (2010), je donne la définition suivante des archives historiques : Documents qui constituent les sources originales de la connaissance du passé d’une institution, d’une entreprise, d’une famille ou d’une personne ».

actionPar comparaison avec les définitions précédentes, j’insiste sur deux points :

  • d’une part le caractère original des documents (je ne précise pas mais on peut comprendre original par opposition à copie, mais également original en termes de contenu, quelle que soit la forme diplomatique) ;
  • d’autre part, le « complément d’objet » de l’expression « archives historiques » : les archives historiques de quoi ? Ou plus exactement de qui ? Je considère qu’il n’est pas pertinent de parler des archives historiques en général, en soi, mais bien en lien avec l’entité juridique productrice de ces archives, ou au moins de la communauté ou de la personne qui en assume l’héritage : les archives historiques de la France, de l’entreprise Renault, du département de la Creuse, de la ville d’Étampes, de la commune d’Aubervilliers, de la famille d’Ormesson, de Guy Debord, etc..

Cette définition exclut délibérément les documents divers et variés collectés sur un thème donné, car ce n’est pas le thème dont parlent les archives qui font les archives mais leur provenance, leur producteur (je n’ose dire leur géniteur) dont les archives tracent l’activité.

Il n’est pas question dans cette définition non plus d’âge des archives, d’une limite temporelle qui apporterait la consécration du statut historique, une forme de « majorité historique » en quelque sorte. C’est que le caractère historique d’un document n’est pas intrinsèquement lié à son âge.

La valeur historique d’un document, en tant que source de connaissance du passé, « n’attend pas le nombre des années ». Elle peut s’apprécier au moment même de la production du document comme elle peut n’apparaître que plus tard, à la lumière d’événements ultérieurs.

projet tour EiffelLa définition de ce qui est historique ou non relève parfois de critères objectifs mais plus souvent de critères  subjectifs ou relatifs. Les décisions des instances dirigeantes ou les brevets d’une entreprise sont historiques du simple fait qu’ils jouent un rôle majeur dans l’exercice des activités de l’institution ou de l’entreprise. En revanche, des dossiers d’études ou des correspondances n’auront pas la même couleur selon la politique du propriétaire ou du gestionnaire des archives, ou en fonction de l’éclairage donné par les  tendances de l’historiographie, laquelle évolue avec les générations. De même, le poids historique d’un dossier isolé n’est pas le même que le poids historique d’un dossier dans une série de 1000 dossiers issus du même processus.

En résumé, est historique ce que le responsable des archives historiques a estimé être historique, avec trois facteurs-clés :

  1. le caractère officiel ou non des documents (les documents officiels sont beaucoup faciles à trier) ;
  2. le rattachement hiérarchique du responsable qui opère la sélection (archives historiques gérées dans l’institution ou archives historiques recueillies dans un service public d’archives) ;
  3. le temps qui s’est écoulé entre la production et la sélection (atout du recul).

Ainsi que je l’ai mentionné plus haut, la qualité d’archives historiques est complètement dissociée des critères d’accessibilité (au sens de droit d’accès et non de possibilité technique de repérage) ; le terme de communicabilité serait d’ailleurs plus approprié ici.

Ceci dit, peut-on se contenter de qualifier un ensemble de documents d’archives historiques sans décrire davantage la nature de la collecte et de la sélection ?

La théorie des quatre-quarts

C’est en m’efforçant de répondre à cette question que j’ai élaboré la théorie des quatre-quarts dans la constitution d’un fonds d’archives historiques.

Ma première réflexion, qui remonte à 2005, m’avait conduite à diviser tout fonds d’archives historiques en fonction de la provenance des documents, avec deux grandes composantes :

  • les trois-quarts des archives sont des documents de preuve, de traçabilité ou de mémoire métier issus des activités de l’entreprise ou de l’organisme producteur, autrement dit des documents soumis à des durées de conservation énoncées et gérées par le producteur, que ces durées soient échues ou non ;
  • le dernier quart est constitué par des documents « périphériques », qui auraient pu ne pas exister, ou qui auraient pu ne pas être conservés, potentiellement produits ou reçus hors de l’institution  ou de l’entreprise en question et que le responsable du fonds d’archives (l’archiviste) collecte dans son réseau, grâce à son expertise et à son intuition : dossiers personnels ou semi-personnels de dirigeants, de secrétaires, d’agents techniques ou de chercheurs, ou documents collectés à l’extérieur de l’institution ou de l’entreprise.

C’est pourquoi j’avais d’abord appelé ma théorie la théorie des 75-25.

Mais en analysant plus à fond le mode de collecte des 75%, je parviens à trois parts distinctes :

  1. les documents officiels (engageants, probants) majeurs, historiques par nature et publics (librement accessibles ou communicables) dès leur production ;
  2. les documents engageants ou stratégiques et donc la valeur historique est détectable dès la création mais confidentiels (les contrats, les courriers, certains rapports) ;
  3. les documents secondaires sont la valeur historique potentielle ne peut apparaître qu’avec le recul du temps et les documents sériels qui ne présentent pas d’intérêt à être conservés en totalité.

Avec les documents « périphériques », il y a donc bien quatre-quarts d’archives historiques.

Il est évident que les quatre quarts ne sont pas et n’ont pas à être équivalents en termes de volumes physiques. La théorie vise à structurer la constitution du fonds d’archives historiques et les modalités de mise en œuvre de la collecte et de la conservation. Plus précisément, cette approche veut mettre en évidence les compétences et les responsabilités associées à la gestion archivistique de chaque quart.

Théorie des quatre-quarts et modalités d’application

1. Documents officiels majeurs et publics

Ces documents sont constitutifs des archives historiques dès leur publication ; ils peuvent éventuellement rejoindre physiquement le fonds d’archives historiques très vite dans la mesure où il y a soit plusieurs exemplaires à la production, soit on peut considérer que l’original va aux archives et que les services travaillent avec une copie.

2. Documents engageants et confidentiels

Ces documents sont gérés conformément au référentiel de conservation de l’entreprise ou de l’organisme, selon la politique d’archivage mise en œuvre ; ils rejoindront les archives historiques quand leur caractère confidentiel sera levé ou, plus facilement, à la fin de leur durée de conservation en application des risques de non-disponibilité ou des besoins métiers.

Le conseil de l’union européenne a fixé cette intervention à trente ans après la production, sauf cas spécifique de protection des personnes et institutions.

3. Autres documents à valeur de preuve ou d’information

C’est le « quart » le plus délicat à gérer ; les documents sont identifiés, pendant leur cycle de vie au sein de l’entreprise ou de l’organisme, comme portant une éventuelle valeur historique, ce qui soumet leur sort final à échéance de la durée de conservation au regard expert d’un archiviste qui opérera la sélection.

Le conseil de l’union européenne a fixé cette intervention à quinze ans après la production.

4. Documents « périphériques »

Collecte active, comparable à celle d’un conservateur de musée qui doit repérer les plus belles pièces qui valoriseront sa collection, car les archives historiques sont une collection, dans un périmètre délimité par la provenance.

appel électeurs 1924

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