archiviste – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr Mon, 31 Jul 2017 13:42:39 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.3.6 http://transarchivistique.fr/wp-content/uploads/2013/03/cropped-désert-tunisien-eau-verte-2-32x32.jpg archiviste – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr 32 32 Le « tableau de gestion d’archives » : un frein à l’archivage http://transarchivistique.fr/le-tableau-de-gestion-darchives-un-frein-a-l-archivage/ Mon, 31 Jul 2017 13:42:38 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=831 Continuer la lecture ]]> Le titre du billet met l’accent sur l’opposition essentielle entre les archives et l’archivage, entre le constat de documents accumulés qu’on appelle archives et l’acte managérial de mise en sécurité des documents qui méritent d’être conservés, acte désigné par le terme archivage.

Mon propos est de souligner cette opposition entre les archives statiques que l’on se propose de trier après coup (sur leur bonne mine ou en pensant à une certaine histoire), et l’archivage dynamique qui permet, au travers des geste managériaux et professionnels, de constituer au fil de l’eau des archives saines. Car, quoique l’actuelle loi française sur les archives et sa glose laissent entendre, il ne faut pas croire que les archives relèvent de la génération spontanée (les archives seraient tombées là de la main de quelque divinité) et que leur existence est préalable à toute démarche archivistique. Il est plus sérieux de penser, comme au temps jadis d’ailleurs, que les archives sont le fruit d’une « mise en archives » des documents jugés nécessaires à préserver par leurs auteurs, émetteurs, propriétaires et/ou gestionnaires, conscients de leur responsabilité vis-à-vis de ces documents et des informations qu’ils renferment.

L’expression « tableau de gestion » est une des expressions de base de la communauté des archivistes publics ; un archiviste est-il nommé quelque part, il se préoccupe tout de suite de savoir s’il existe un « tableau de gestion » et, s’il n’en trouve pas, d’en établir un, recensant les documents produits par l’organisation assortis de leur « durée d’utilité administrative ». Sans insister sur l’inconsistance propre de chacun des deux mots qui composent cette expression (un tableau.. la gestion…), je m’interroge toujours sur le succès du phénomène « tableau de gestion » car ce document de référence qui se veut un outil méthodologique pour organiser les archives d’une entité administrative m’apparaît surtout comme un instrument par défaut, ambigu, inadapté à la mise en œuvre de l’archivage dans une organisation, et, disons-le franchement, contraire aux pratiques du records management (archivage managérial). Cette affirmation exige, bien sûr quelques explications.

 

PETIT HISTORIQUE DU « TABLEAU DE GESTION D’ARCHIVES »

L’expression « tableau de gestion » appliquée aux archives apparaît pour la première fois dans le texte d’un document diffusé par la direction des Archives de France en 1993 (instruction relative aux archives des établissements publics nationaux conservées localement) et en 1995 dans le titre d’une circulaire de cette direction (« Tableau de gestion des archives publiques des compagnies républicaines de sécurité »). On recense par la suite 34 circulaires des Archives de France avec cette expression (source : https://francearchives.fr).

Mais ceci ne signifie pas que les instructions de l’administration des Archives ne parlaient pas avant 1993 de la « gestion des archives » ni qu’il n’existait pas de tableaux relatifs aux durées de conservation. Simplement, les mots n’étaient pas les mêmes : l’expression la plus courante, avant cette date était « tableau de tri » dont la première occurrence dans le titre d’une note date du 5 avril 1977 (projet de refonte des tableaux de tri des archives judiciaires). Le mot « triage », apparu au début des années 1960, a été abandonné ; on trouve néanmoins quatre circulaires diffusant des « tableaux de triage » entre 1988 et 1991.

Les autres expressions utilisées pour le tri et la gestion des archives dans le titre des circulaires, à partir des années 1960 sont (avec les nuances) : autorisation d’élimination – apurement des archives – conservation et tri – tri et conservation – versement, tri et conservation – tri et élimination – conservation et versement – conservation, tri et versement – traitement – tri et échantillonnage – tri et versement – tri, versement et conservation. À noter que la plupart de ces circulaires concernent les Archives départementales, et se rattachent au projet de révision du Règlement général des Archives départementales de 1921, décidé en 1958.

Les instructions les plus anciennes sont assez courtes et portent sur un type de document précis (ex : élimination des dossiers des voyageurs de commerce, en 1959). Dans les années 1970 apparaissent des annexes sous forme de tableaux (j’ai repris le titre du tableau et à défaut, celui de la circulaire) :

  • tableau de versement et de tri des archives des services extérieurs de l’Office national des forêts (16 juin 1972),
  • tableau de versement et de tri des archives des directions départementales de l’Agriculture et services rattachés (13 novembre 1972),
  • conservation et versement aux Archives départementales des archives des services extérieurs du ministère de l’environnement et du cadre de vie et du ministère des transports (22 juillet 1980),
  • tableau de tri des archives du Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) (21 mars 1984),
  • documents à verser aux Archives par les cours d’assises, cours d’appel, tribunaux de grande instance, tribunaux d’instance et de police et conseils de prud’hommes (25 janvier 1985),
  • documents à verser aux Archives par les établissements pénitentiaires (4 juillet 1985) [cette circulaire-là, j’ai eu le plaisir de la mettre en œuvre en son temps, avec le greffier de Fleury-Mérogis qui m’a beaucoup appris],
  • versement, tri et conservation des archives des services extérieurs du Trésor aux Archives départementales (10 décembre 1986),
  • tableau des délais de conservation des archives de la délégation régionale de l’Éducation surveillée (19 novembre 1987),
  • documents reçus ou tenus par les bureaux des hypothèques qui seront versés aux Archives départementales (21 juin 1988),
  • etc.

Ce qui transparaît clairement de ces titres est que l’objectif de cette réglementation est la collecte des archives historiques par les services d’archives publics. Ces tableaux ont pour but d’aider les archivistes (départementaux) a constituer des fonds d’archives historiques cohérents au plan national.

La forme des tableaux se cherche tout au long de ces années mais l’élément central est toujours la durée de conservation dans le service administratif et le devenir des documents à l’issue de cette durée, à savoir : conservation aux Archives, élimination ou tri. La durée de conservation dans le service était à l’origine, à mon avis, autant un « délai de versement » qu’une durée d’utilité administrative. Les quatre colonnes qui vont devenir la norme à la fin du XXe siècle sont :

Colonne n° 1. Catégorie de document ou de dossier concernée
Colonne n° 2. Durée d’utilité administrative des documents (DUA)
Colonne n° 3. Sort final des documents, C, D, T
Colonne n° 4. Observations

On peut remarquer qu’il n’y a pas de numéro d’ordre ou de codification dans ce modèle, alors que plusieurs des tableaux de tri des années 1980 en comportaient, permettant ainsi une identification plus facile des typologies documentaires concernées.

 

QU’EST-CE QU’UN « TABLEAU DE GESTION » AUJOURD’HUI ?

C’est la question que l’on se pose.

Et la réponse n’est pas limpide.

Ou plutôt, il existe plusieurs réponses qui mettent en évidence les différences de points de vue.

Une circulaire du Service interministériel des Archives de France, en date du 22 mars 2010 et visant à la centralisation et au partage des tableaux réalisés par les services d’archives qualifie les « tableaux de gestion d’archives » d’« outils précieux pour collecter les archives définitives et éliminer les documents dépourvus d’utilité administrative ou d’intérêt historique ou scientifique ». On voit que la formule est parfaitement conforme aux origines des « tableaux de gestion ».

Le Dictionnaire de terminologie archivistique des Archives de France (2002) en donne la définition suivante : « État des documents produits par un service ou un organisme, reflétant son organisation et servant à gérer ses archives courantes et intermédiaires et à procéder à l’archivage de ses archives historiques . Il fixe pour chaque type de documents les délai d’utilité administrative , délai de versement au service d’archives compétent pour les recevoir, traitement final et modalités de tri à lui appliquer ». Je note ici la nuance entre délai d’utilité administrative et délai de versement, même si le Dictionnaire note que les deux délais « coïncident en règle générale » sans autre précision. Je comprends là que le délai d’utilité est considéré ici comme un délai conventionnel, c’est-à-dire un laps de temps négocié pour des raisons pragmatiques, à distinguer d’une durée de conservation qui s’appuierait sur une règle juridique ou métier. Si durée et délai sont très souvent confondus, ce n’est pas systématique ; ainsi le délai d’utilité administrative des registres de délibérations municipales est de un an d’après une circulaire de 2009, alors que la durée de conservation est bien évidemment indéfinie, ces documents étant le document historique par excellence d’une collectivité territoriale.

Le même Dictionnaire propose une autre entrée pour « tableau d’archivage » : « document réglementaire établi par l’administration centrale des archives décrivant les types de documents produits par une administration, un service, une institution ou dans le cadre d’une fonction administrative, et fixant pour chacun d’entre eux le délai d’utilité administrative, le traitement final ainsi que les modalités de tri à leur appliquer ». La principale différence entre les deux définitions (chacune renvoie à l’autre sans détailler le pourquoi de la distinction) semble tenir dans l’auteur du tableau : n’importe quel organisme pour le « tableau de gestion », l’administration des Archives pour le « tableau d’archivage ». Cependant, la liste des titres des circulaires des Archives de France ne confirme pas cela.

Dans la présentation d’un stage intitulé « Concevoir un tableau de gestion » (programmé en mars 2017), l’Association des archivistes français indique comme objectif du stage de « savoir établir un tableau d’archivage, comprendre son utilité et sa fonction et orga­niser son application » : là, le « tableau d’archivage » n’a manifestement pas le même sens que dans le Dictionnaire de terminologie ci-dessus car le stage s’adresse à tous quand le « tableau d’archivage » devrait être réservé à l’administration centrale des Archives.

Dans le glossaire du Référentiel de gestion des archives, publié par le Comité interministériel aux Archives de France en octobre 2013 (document de présentation de l’intérêt d’une bonne gestion des archives dans l’administration ne comportant aucun tableau relatif au tri et à la conservation), le « tableau de gestion » est défini comme un « document formalisant les règles de gestion du cycle de vie (DUA et sort final) des documents et données produits par un service, rédigé en accord avec les instructions de tri, si elles existent, et validé par la personne en charge du contrôle scientifique et technique compétente ».

Les sites Internet des Archives départementales comportent parfois un glossaire ou au moins une définition du tableau de gestion. Par exemple, pour les Archives du Var : « Il s’agit d’un état de tous les documents, qu’ils soient sous forme papier ou électronique produits et reçus par un service. A ce titre, il reflète l’organisation de ce service. Il sert à gérer les archives courantes (dossiers servant à la gestion quotidienne des affaires, conservés dans les bureaux) et intermédiaires (dossiers n’étant plus d’usage courant mais conservés pour des impératifs de gestion et/ou juridiques à proximité des bureaux). Ainsi, il permet de procéder aux éliminations réglementaires ainsi qu’à l’archivage des archives définitives dites historiques qui seront, à terme versées aux Archives départementales ». Cette définition met en parallèle la destruction des documents périmés et la constitution d’archives historiques mais, malgré l’expression « il sert à gérer les archives courantes », on ne voit pas bien comment il est utilisé par les services producteurs pour autre chose que les éliminations réglementaires, ce qui est très restrictif dans la gestion documentaire et archivistique des services. Le « tableau de gestion » est avant tout et quasi exclusivement un outil d’archivistes.

Pour ma part, j’ai déjà pointé du doigt en 2014 cette ambiguïté dans la finalité du « tableau de gestion » dans le billet « Évaluation et tableau de gestion ». La question est : l’évaluation archivistique (« fonction archivistique fondamentale préalable à l’élaboration d’un tableau d’archivage visant à déterminer l’utilité administrative, l’intérêt historique et le traitement final des documents » selon le Dictionnaire déjà cité) vise-t-elle a produire le « tableau de gestion » ou n’est-ce pas plutôt le « tableau de gestion » qui doit servir de référence pour apprécier la valeur des archives que l’on rencontre ? Sur le terrain, la relation existe dans les deux sens, selon l’opération en cours (organisation en amont, traitement a posteriori). On observe toutefois ici et là la pratique d’élaborer un « tableau de gestion » pour une entité administrative supprimée, pour un fonds clos. Ceci peut surprendre car pourquoi organiser un tableau de référence qui ne servira jamais puisque l’évaluation des archives, dans ce cas de figure, porte sur un « tas » qui ne sera plus alimenté ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une opération unique visant à la production d’un inventaire, c’est-à-dire un instrument de recherche, et à l’élaboration de règles de gestion (même si certains documents existant lors de la dissolution du service devront être éliminés à moyen terme).

À noter que l’expression « tableau de gestion » est totalement absente du rapport Une stratégie nationale pour la collecte et l’accès aux archives publiques à l’ère numérique, présenté à la ministre de la Culture par Christine Nougaret en mars 2017 (53 pages).

Quant à la page Wikipédia sur la gestion des documents d’archives, elle dit ceci : « un calendrier de conservation, appelé aussi tableau de tri, fixe la « durée de vie » des documents, en fonction de critères juridiques ou historiques. Il permet de déterminer la valeur d’un document (valeur primaire ou secondaire). La valeur primaire d’un document est la raison pour laquelle le producteur ou le détenteur d’un document doit le conserver pour des motifs administratifs, légaux ou financiers. La valeur secondaire découle de l’intérêt historique d’un document ». C’est l’expression québécoise (calendrier de conservation) qui est privilégiée. Le « tableau de gestion » n’apparaît même pas. Alors, si c’est Wikipédia qui le dit… 😉

 

TABLEAU DE GESTION ET RECORDS MANAGEMENT DOUBLEMENT ANTINOMIQUES

Il ressort de ces différentes définitions, au-delà des nuances, que le « tableau de gestion » est :

  1. un document de référence qui présente en général les documents en suivant l’organisation des services (cf supra: « documents produits par un service », « reflétant l’organisation du service ») ;
  2. qu’il est originellement et majoritairement conçu pour la sélection des archives historiques dans les Archives départementales.

Ces deux caractéristiques du « tableau de gestion » en font très clairement un instrument contraire aux principes fondamentaux du « records management ».

En effet, la démarche de « records management », expliquée dans la norme ISO 15489 parue en français en 2001 :

  1. insiste fortement sur l’exigence d’appréhender les documents à archiver dans le contexte d’une activité ou d’un processus global, et non par service, car chacun sait que les organigrammes bougent (et ils bougent encore plus vite au XXIe siècle qu’à la fin du XXe) ;
  2. exclut les archives historiques de son périmètre documentaire. le périmètre d’application du records management (de l’archivage comme acte managérial), comme l’énonce clairement la norme ISO 15489, est distinct de la sphère des archives historiques ; le records management a pour objectif de piloter le cycle de vie des documents qui engagent une organisation jusqu’à ce que ces documents ne présentent plus d’intérêt pour l’exercice des activités de cette organisation ; en revanche et bien évidemment, la mise en œuvre de ces règles peut prendre en compte la valeur historique des documents, pour les transférer à échéance dans un service d’archives historiques, ou même considérer la valeur historique des a pendant l’écoulement de leur cycle de vie (protection, pérennisation, consultation) ; des indications sur la valeur historique ou sur l’intérêt d’une analyse historienne à échéance de la durée de conservation figurent dans les retention schedules anglo-saxonnes mais l’objectif de ces tableaux est d’abord et avant tout le besoin de l’organisme producteur de disposer des documents archivés pour couvrir un risque contentieux ou répondre à une autorité, ou encore pour conforter la mémoire des équipes métier.

Heureusement, faute d’autres outils méthodologiques disponibles dans la communauté, un certain nombre d’archivistes, connaisseurs de la norme ISO 15489 ou simplement confrontés aux exigences d’archivage de leur entreprise ou de leur organisation, ont « aménagé » le tableau en ajoutant les colonnes et les données nécessaires à la mise en œuvre de durée de conservation et au suivi du cycle de vie des documents à conserver dans l’intérêt des organisations et entreprises propriétaires. Malheureusement il s’agit surtout d’initiatives individuelles (souvent réussies du reste) et je ne vois pas ce qui a été fait pour théoriser ces expériences et produire des modèles de « référentiel de conservation » pour l’ensemble de la profession. Si des études sont réalisées là-dessus, il faut croire qu’elles sont privées ou confidentielles car les réseaux n’en font pas état. Beaucoup d’autres archivistes, hélas, abandonnés à leur triste sort face à des montagnes de papier (et bientôt de fichiers numériques) toujours plus hautes, continuent à se battre avec le sacro-saint « tableau de gestion » sans oser percer l’abcès.

 

ILLUSTRATION

J’observe ce « phénomène » du tableau de gestion d’archives depuis plusieurs décennies, notamment au travers du forum des archivistes (archives-fr) créé sur Yahoo à la fin du XXe siècle (https://fr.groups.yahoo.com/neo/groups/archives-fr/info). On y trouve régulièrement des messages d’archivistes à la recherche de tableaux de gestion existants pour faciliter leurs propres travaux.

J’ai remarqué ces dernières années une tendance à des recherches de tableaux de gestion de plus en plus spécifiques. On pourra m’objecter que les questions généralistes étant déjà traitées, les archivistes sont naturellement conduits à s’intéresser à des sujets plus pointus ; certes, mais tout de même, le domaine de plus en plus resserré de la recherche et surtout l’exposé des motifs de la recherche interpellent.

J’ai constitué au fil de l’eau un petit corpus de la cinquantaine de recherches de tableaux de gestion des six dernières années. Elles concernent notamment :

  • une épicerie sociale (novembre 2011)
  • les ludothèques (janvier 2012)
  • un abattoir municipal (décembre 2012)
  • les ordures ménagères (mars 2013)
  • les aires d’accueil pour les gens du voyage (avril 2013)
  • les délégations territoriales de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (juillet 2013)
  • une école des Beaux-Arts (septembre 2013)
  • un syndicat intercommunal pour l’éclairage public (octobre 2013)
  • les plans locaux pour l’insertion et l’emploi (avril 2015)
  • les maisons de justice et du droit (juin 2015)
  • un crématorium (juin 2016)
  • un service municipal Information & Jeunesse (juillet 2016)
  • une association conventionnée du secteur pénal (octobre 2016)
  • les dossiers de licences de spectacles dans les DRAC (novembre 2016)
  • une association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales (juin 2017)
  • les activités périscolaires (juillet 2017)
  • une piscine (juillet 2017).

Si on lit de plus près les messages des archivistes, confirmés ou stagiaires, à l’origine de ces demandes, on ne peut qu’être surpris du caractère relativement passif de la demande qui se résume en général à : « dans le cadre du traitement d’un fonds d’archives en cours, je cherche un tableau de gestion sur… ». Parfois, le demandeur précise qu’il a cherché une circulaire sur sa thématique mais n’en a pas trouvé, ou bien que celle-ci n’était pas assez détaillée. Dans quelques cas, il est indiqué que « nous avons été sollicités pour établir un tableau de gestion pour… » sans autre exposé de contexte ou de démarche.

Le flou de la finalité du « tableau de gestion » (sélection des archives historiques ou gestion du cycle de vie des documents d’un organisme) transpire de cet inventaire à la Prévert. On sent de manière sous-jacente , derrière l’archiviste, le besoin des services producteurs d’archiver, de conserver ou de détruire leurs dossiers. Pourtant l’appel à l’aide au « tableau de gestion » semble figé dans son expression.

Ce qui me frappe avant tout dans ce corpus, c’est l’absence de la notion de risque qui est pourtant le b-a-ba de l’évaluation des dossiers administratifs du point de vue du producteur, selon les principes du records management : on devrait logiquement mettre en archives ce qui mérite d’être conservé pour couvrir un risque demain ou après-demain, pour assurer sa responsabilité face à un tiers, pour conforter ses droits, pour prouver sa conformité à la réglementation (et non les dossiers accumulés qui ne servent plus). Cette préoccupation légitime et naturelle d’une entité juridique apparaît déconnectée du « tableau de gestion d’archives ».

Or, le simple fait de poser cette question du risque (à conserver ou à détruire les dossiers) permettrait de savoir, dans la majorité des cas, s’il faut archiver les documents ou non. La question de la conservation historique doit être décorrélée de la gestion de l’archivage dans le service, aujourd’hui plus encore qu’hier car aujourd’hui la production documentaire dans son ensemble est déréglée, tandis qu’autrefois (il y a cinquante ou trente ans) les archivistes pouvaient encore se fier à la rigueur administrative des services pour une production de qualité sur laquelle ils pouvaient sereinement poser une analyse historique.

Je déplore également l’absence récurrente d’une vision globale des activités d’une entité juridique responsable, comme si on oubliait que le contour d’un fonds d’archives est la responsabilité juridique d’une organisation et non le cadre du bureau du sous-service de la direction du département de… Ceci transparaît également dans la présentation, au même niveau, de documents majeurs en termes de risque et de documents internes de valeur secondaire, comme si toutes les archives se valaient. Un message met ainsi sur le même plan un « compte rendu de réunion d’expression libre » et « le PV de réunion du CHSCT ». À la décharge de l’archiviste, la pression du discours public ambiant, extrapolé de la définition légale des archives, qui veut que tout soit archives, même le moindre post-it…

Enfin, je déplore le manque d’esprit critique, tout au moins dans le corpus étudié. Un seul message « ose » s’interroger sur le bien-fondé d’une règle existante qui semble inadaptée à son environnement ; l’archiviste écrit : « Je m’interroge cependant sur l’opportunité de la conservation intégrale de ces documents [registres de brocanteurs], qui sont finalement assez volumineux ». Oui, la valeur d’archives historiques d’un document n’est pas figée sur son intitulé ; le volume, le contenu, le contexte, etc. jouent un rôle dans l’espace et dans le temps. L’archivistique doit aussi analyser cela.

CONCLUSION

Il y a réellement un malaise autour de ces « tableaux de gestion ». Ce malaise est dû au flou entretenu collectivement sur sa finalité. C’est aujourd’hui un outil bâtard qui fait marcher les archivistes de guingois. Un des messages postés sur le forum archives-fr l’an dernier est révélateur de ce flou : une archiviste écrit : « notre groupe de travail propre d’ajouter une colonne RM [records management] au traditionnel tableau de gestion des archives » pour « l’identification des documents pouvant être qualifiés de « records » ». J’avoue que j’en suis restée comme deux ronds de flan…

Il y a surtout une grande lacune de théorie et de formation archivistiques pour adapter la profession au contexte de la société de l’information.

Naguère (il y a quelques décennies), le plus gros contingent d’archivistes travaillaient dans les archives départementales ; il y a longtemps que les communes, les établissements publics, les syndicats, les agences, les associations, etc. regroupent les plus gros effectifs d’archivistes et que, dans ces structures-là, le besoin de maîtriser la masse documentaire, le besoin d’accompagner le cycle de vie des documents engageants l’organisme et le besoin d’être conforme à la réglementation sont prioritaires à l’identification des archives historiques. Prioritaire ne veut pas dire que les archives historiques de ces organismes n’auraient pas d’importance mais simplement qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. L’archivage managérial doit passer avant la sélection des archives historiques.

Dans la plupart des organisations, publiques et privées, on en est encore, pour la gestion des risques informationnels, au degré zéro de l’archivage. On laisse s’entasser les produits et sous-produits documentaires des activités sans prise de conscience de la valeur des traces écrites validées et diffusées, sans prise de conscience du risque attaché à cette diffusion, sans prise de conscience du fait que toute diffusion d’un écrit, en interne ou à l’extérieur, engage son émetteur. On appelle « archives », d’un mot aussi usurpé que vague, ces tas de documents et de données et, la masse étant finalement trop lourde, on finit par se dire qu’on devrait trier avant de jeter tout ce fatras, papier ou numérique. Et tout le monde, producteurs impénitents et trieurs invétérés, semble s’en accommoder comme d’une fatalité. Non, ce n’est pas une fatalité ! L’archivistique, c’est autre chose. Encore faudrait-il définir et accepter des objectifs plus ambitieux et mieux intégrés dans la vie des organisations.

Le « tableau de gestion d’archives » a vraiment besoin qu’on lui secoue les bretelles, tout au moins qu’on lui secoue les colonnes ! Il ne faudrait pas que la nouvelle génération d’archivistes continuent de s’y attacher comme à une bouée de sauvetage dans l’océan archivistique, car cela finirait vite en une profession qui dérive loin du continent des réalités…

Post-scriptum : Je n’ai pas eu particulièrement de plaisir à écrire cet article (personnellement, j’ai résolu le problème depuis un bon moment avec la méthode Arcateg) mais j’alimente ce blog conformément aux critères qui me l’on fait créer en 2013. Ceci dit, j’aurais aimé que ce sujet de fond soit l’objet (provocation en moins, bien entendu) d’un mémoire de master d’un étudiant en archivistique. Il n’est pas interdit de rêver…

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Loi du 17 juin 2008 : 6e anniversaire http://transarchivistique.fr/loi-du-17-juin-2008-6e-anniversaire/ Tue, 17 Jun 2014 08:17:19 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=431 Continuer la lecture ]]> Publié par Marie-Anne Chabin, 17 juin 2014

La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a six ans.

Cette réforme ne concerne pas que les juristes. Elle est important aussi pour les archivistes dans la mesure où, en l’absence de durées légales de conservation (elles sont peu nombreuses et visent un nombre restreint de documents), les durées de conservation archivistiques (nombre d’années pendant lequel les documents archivés sont effectivement conservés, de leur création à leur destruction) s’appuient sur différents critères au premier desquels le risque de non-disponibilité des documents dans le temps (conformément à la norme ISO15489), notamment en cas de contentieux où ces documents pourraient être produits comme pièces justificatives. Et ce risque est bien sûr lié aux délais de prescription.

Pourtant, si plusieurs sites et blogs de juristes ont commenté cette loi en 2008, évoquant parfois les conséquences de la réforme pour l’archivage dans les cabinets d’avocats (cliquer ici et ), pour l’archivage électronique (ici) ou en lien avec les données personnelles (), il apparaît que les archivistes l’ont bien peu, trop peu commentée. La loi du 17 juin 2008 a été signalée par Delphine Fournier sur le forum de l’association des archivistes français le 26 juin puis la profession n’en a plus guère parlé.

Pourquoi ? Est-ce que les nouveaux délais de prescription ont été pris en compte par les archivistes dans les durées de conservation ou les durées de conservation traditionnelles ont-elles continué à être utilisées ?

Rappel des principales dispositions de la loi du 17 juin 2008

Fleur 5Tout d’abord, la prescription civile générale est rapportée de trente à cinq ans. Autrement dit, la prescription trentenaire est supprimée ou plus exactement réduite aux questions immobilières. Elle existait dans le code civil depuis 1804 et était la base de bon nombre de durées de conservation d’archives. L’article 2262 qui disait « Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi » est supprimé. L’article 2224 est nouvellement rédigé ainsi : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

La prescription trentenaire est en revanche introduite dans le code de l’environnement (art. L152-1): « Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l’environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code, se prescrivent par trente ans ».

Ensuite, la prescription commerciale passe de dix à cinq ans (code du commerce, art. L110-4) : « Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ».

Les autres points concernent notamment l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice (article 2225, cinq ans), (la responsabilité du vice caché (article 1792-4-3, 10 ans), l’action en responsabilité des huissiers de justice (nouvel article 2 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, 2 ans).

On remarque, comme souvent dans les codes de loi, que certaines dispositions visent des types de document très précis qui ne concerne que certaines professions (ici les avocats et les huissiers) tandis que d’autres articles (la prescription civile et la prescription commerciale) touchent quasiment tout le monde.

Innovations et incohérences

EPSON DSC pictureLe Guide des durées de conservation des archives d’entreprise, publié en 1997 par l’Association des archivistes français et non révisé depuis, cite fréquemment l’article 2262 du code civil à l’appui de la durée de conservation de trente ans, par exemple pour les procès-verbaux de délibérations des conseils d’administration. Quant aux contrats et à leurs pièces justificatives, la durée de conservation préconisée est de dix ans (après la résiliation du contrat), conformément au code du commerce de l’époque.

À première vue, la loi 17 juin 2008 a périmé un certain nombre de préconisations de conservation largement utilisées par les archivistes…

Certains services juridiques d’entreprise ont proposé une durée de conservation de cinq ans pour les contrats (après la résiliation, bien sûr) voire pour les registres de délibérations des conseils d’administration (après la radiation). Est-ce bien réaliste ?

Les contrats antérieurs à la loi devaient suivre la règle précédente (caractère non rétrospectif de la loi), et les contrats postérieurs au 17 juin 2008 la nouvelle règle, le tout devant se normaliser en 2013. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les contrats sont-ils réellement détruits en entreprise cinq ans après leur résiliation ?

Les factures liées aux contrats continuent, elles, d’être conservées dix ans (à partir de la date de clôture de l’exercice) comme pièces de comptabilité (code de commerce, article L123-22: « Les documents comptables et les pièces justificatives sont conservés pendant dix ans »). On se trouve donc en situation de définir une durée de conservation basée sur la prescription commerciale pour les contrats et de les détruire avant les factures qui s’y rattachent. Ne serait-il pas utile lors d’un audit comptable de pouvoir produire les contrats avec les factures (les fausses factures sont toujours à la mode…). Il apparaît que le contrat passe d’un statut de document maître, dont l’exécution produit des factures, à un statut de pièce justificative des factures produites. Quoi qu’il en soit, il serait prudent d’aligner la conservation du contrat sur les factures qui en découlent, dans certaines affaires du moins.

Autre remarque au sujet de la durée de conservation des contrats. En application de la Loi pour la Confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004, le décret n° 2005-137 du 16 février 2005 (donc antérieur à la loi du 17 juin 2008) stipule que les contrats conclus par voie électronique et portant sur une somme égale ou supérieure à 120 euros, devront être conservés dix ans par les cybercommerçants. Serait-ce donc que les contrats sous forme électronique n’ont pas la même valeur que les contrats sur support papier ? On pourrait le croire mais ce serait contraire à l’article 1316-1 du code civil. En fait, il est question d’un côté de durée de conservation et de l’autre de délai de prescription. Face à des pratiques hétérogènes autour de ces subtilités, il ne serait pas inutile de muscler le discours archivistique sur le sujet.Fleur 10

Enfin, conserver les registres de délibérations d’un conseil d’ administration seulement cinq ans après la disparition de l’ entité juridique en cause est-il opportun ? Ne faut-il pas prendre en compte, d’une part les besoins de mémoire institutionnelle (cas des réorganisations permanentes des entités juridiques), d’autre part le fait que les procès-verbaux de délibérations tracent des décisions qui ont potentiellement donné lieu à d’autres actions dans des domaines (environnement, social…) où les actions se prescrivent par beaucoup plus des cinq ans de prescription visant les simples « actions personnelles et mobilières ». Là aussi, la décision initiale est une pièce du dossier.

L’argument du coût de gestion des archives

La littérature juridique autour de la réduction de la prescription civile évoque volontiers l’impact de cette mesure sur l’archivage en termes de volumes et donc de coûts de stockage et de conservation matérielle :

« Le coût de la conservation des preuves et de la gestion des archives finit par être colossal » (Natalie Fricero)

« Conserver ses archives : un lourd boulet » (Jean Gasnault)

« Plus on archive longtemps, plus les coûts sont importants, peu importe qu’il s’effectue sous forme papier ou électronique. […] La conservation des preuves des documents papier constitue un coût très important pour les entreprises… […] la logique de l’économie de coûts d’archivage… » (Éric Caprioli)

Qu’en est-il six ans après la promulgation de cette loi ?

Les archivistes ont-ils mis en œuvre des durées de conservation réduites sur la base de la loi du 17 juin 2008 ?

Si oui, y a-t-il des réductions significatives de volumes d’archives en vue ?

Ou la réflexion sur le sujet n’a-t-elle pas au contraire exacerbé la prudence et la frilosité de ceux qui visent – ou plutôt devraient viser – les destructions de documents à échéance de leur durée de conservation, conduisant à l’effet inverse de l’effet recherché ?…

 

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