InterPARES – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr Sun, 19 Mar 2017 10:01:32 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.3.6 http://transarchivistique.fr/wp-content/uploads/2013/03/cropped-désert-tunisien-eau-verte-2-32x32.jpg InterPARES – TRANSARCHIVISTIQUE http://transarchivistique.fr 32 32 La norme ISO 15489 s’est-elle fait hara-kiri? http://transarchivistique.fr/la-norme-iso-15489-sest-elle-fait-hara-kiri/ Mon, 13 Mar 2017 17:36:28 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=714 Continuer la lecture ]]> La norme internationale ISO 15489, texte fondateur et prometteur pour le records management, publiée en 2001 (je m’étais alors très impliquée dans les débats et dans la traduction française du texte), ne donne plus signe de vie.

Elle n’a été ni supprimée ni officiellement condamnée. Au contraire, elle a été révisée par l’ISO en 2016. Pourtant, on n’en parle pratiquement plus en France. J’ai récemment envoyé la requête « iso 15489 2016 » à Google et à Qwant. Les résultats sont peu nombreux et renvoient tous au site de l’ISO et un peu de l’AFNOR. Je suis allée voir la page ISO 15489 sur Wikipédia : aucune mention de la nouvelle version validée par l’ISO en 2016…

Que s’est-il passé ? Pourquoi cette norme de management de l’information centrée sur le processus d’archivage des documents à risque a-t-elle sombré dans l’oubli et l’indifférence alors que les enjeux du mauvais archivage ou du non-archivage n’ont jamais été aussi prégnants ? Quelles sont les raisons de cette disgrâce, ou du moins les causes de cette décadence ? Je vois trois explications.

Tout d’abord, les excès de normalisation

Lors de la publication d’ISO 15489 en 2001, cinq ans seulement après la proposition des records managers australiens de faire profiter la communauté internationale de leur expérience, tout le monde a salué la pertinence du texte, sa qualité, sa clarté, sa sobriété. Pour la France archivistique, dont le centre de gravité se situait (et se situe encore largement) entre les archives « intermédiaires » et les archives historiques, ISO 15489 représentait une salutaire révolution avec ses deux messages essentiels :

  1.  les documents qui engagent la responsabilité et dont la non-disponibilité dans le temps présente un risque doivent être pris en charge par le management de l’organisation dès leur création ;
  2. les documents eux-mêmes doivent viser des qualités d’authenticité, intégrité, fiabilité et exploitabilité, tandis que les systèmes qui les gèrent doivent être fiables, intègres, conformes à la réglementation, exhaustifs, systématiques.

Après la publication de la norme, les instances de normalisation se sont engagées trop vite dans la production de nouvelles normes, sans se préoccuper véritablement de la diffusion des normes existantes, comme si la normalisation était une fin en soi et que la mise en œuvre des normes fondamentales (ISO 15489 est une norme fondamentale) n’était pas un objectif prioritaire ! Je me souviens avoir été sollicitée dès 2001 pour travailler sur les normes « filles » d’ISO 15489, alors que la norme n’était pas encore connue des principaux utilisateurs ; j’avais donc refusé.

En 2008, au moment de la publication de MoReq2-Exigences types pour la maîtrise de l’archivage électronique (norme de fait européenne), ISO 15489 était toujours LA norme de référence pour les projets d’archivage, notamment pour les entreprises qui rejoignait alors le CR2PA (Club des responsables de politiques et projets d’archivage) nouvellement créé. Depuis lors, le CR2PA s’est donné pour objectif, au travers de ses tables rondes et de ses référentiels, de promouvoir ces concepts majeurs de la gouvernance de l’information dans l’entreprise : implication du management, documents à risque pris en compte dès la création, caractère transverse et systématique de l’archivage, d’où la naissance de l’expression « archivage managérial » qui résume bien tout cela. Faire passer ces concepts fondateurs était prioritaire. Du reste, les adhérents du CR2PA ont toujours dénoncé le « maquis des normes ». Trop de normalisation tue la normalisation.

Ensuite, la confusion terminologique

Les traductions françaises de MoReq et d’ICA-Req (ISO 16175) s’inscrivaient dans le prolongement de la version française d’ISO 15489, avec les évolutions ou les ajouts induits par le contexte de l’archivage électronique, et tout cela était clair et progressif.

En 2011, la production d’une nouvelle série de normes (ISO 3030X) dédiée au management et à l’audit du système de gestion des documents archivés (management system for records) s’est accompagnée en France (AFNOR) d’une révision fantaisiste des principes de traduction débouchant sur des textes incompréhensibles par les utilisateurs. Le fait de traduire l’anglais record qui désigne le document qui, en raison de sa portée et/ou de son contenu, est mis à part (set apart) dans un système de contrôle et de conservation dédié pour une utilisation ultérieure, le fait donc de traduire record par « document d’activité » est un contre-sens, une aberration et une contre-performance :

  • un contre-sens car l’essence du mot record (qui est d’enregistrer dans un système ce qui est digne de figurer dans les archives) est complètement bafouée ; c’est comme si, voulant parler des lauréats à un concours, on utilisait le mot « candidat »… Or, il existe sur les serveurs des entreprises 70% de documents / données qui ne sont pas contrôlés et qui sont sans intérêt et qui sont tous issus des activités de l’entreprise ;
  • une aberration car « document d’activité » est une expression forgée à partir de rien de connu, que personne n’emploie au quotidien (même ses auteurs) et, loin d’éclairer l’utilisateur, elle obscurcit le paysage et désoriente celui qui cherche justement à s’orienter ;
  • une contre-performance car elle a coupé pour le public francophone le lien naturel entre ces nouveaux textes et la norme mère ISO 15489 et ainsi largement contribué à la désaffection des entreprises pour ce texte pourtant si solide.

Nul doute que ce choix linguistique malheureux a accéléré l’enterrement dommageable d’ISO 15489. La norme est morte, vive la norme ! Oui, mais laquelle ? Ce n’est plus la norme élaborée par l’expérience et l’expertise mais la norme issue du comportement du plus grand nombre, balloté par la valse des technologies et les acteurs du numérique.

Enfin le tournant de la société connectée

Le délai de révision des normes internationales est généralement de cinq ans. ISO 15489 aurait dû être révisée en 2006. On aurait pu attendre 2010, en tout cas vu de la France où l’appropriation de la norme était un vrai défi. Mais, tant pis si je me répète, le désir académique de publier de nouvelles normes l’a emporté sur le devoir d’accompagner les meilleures normes sur le terrain.

Le temps a passé et le texte révisé arrive trop tard en 2016, comme l’ont justement souligné certains experts anglo-saxons.

Il aurait fallu anticiper les impacts profonds et durables de la société connectée sur les principes fondamentaux du records management, intégrer dans le projet  de révision de la norme les nouvelles formes des échanges numériques engageants (mails, réseaux sociaux…), le nouvel environnement de production de l’information à archiver, la tendance technologique (déjà soulignée par MoReq2010 et ICA-Req, module 3) à sécuriser et conserver les documents dans leur environnement de production, la nécessité de centraliser les règles sur les archives et non les archives elles-mêmes, les contraintes qui en découlent en termes d’interopérabilité, la puissance des moteurs de recherche et des algorithmes qui périment complètement la vision de l’accès à l’information archivée, voire les questions de la territorialisation des données et de la protection des données à caractère personnel.

Ces éléments ne sont pas suffisamment pris en compte dans la révision récente de la norme. Le temps a passé et la norme a raté le coche du XXIe siècle qu’elle avait pourtant si bien inauguré. Ceux qui avaient la main pour formaliser ces évolutions inéluctables et les introduire dans le cadre de référence normatif officiel des projets d’archivage ne l’ont pas fait ou pas suffisamment tôt.

Les utilisateurs se sont donc tournés vers d’autres initiatives, plus éclatées, plus disparates. Les travaux du groupe InterPARES dont le projet n° 4 (2013-2018) vise les « digital records and data entrusted to the Internet » autrement dit les documents et données engageants dont l’archivage est confié à Internet, sont particulièrement pertinents mais ils sont malheureusement peu connus en France et ils ne sont accessibles qu’en anglais. Les deux MOOCs du CR2PA (« Bien archiver : la réponse au désordre numérique » et « Le mail dans tous ses états ») se sont efforcés d’adapter les fondamentaux d’ISO 15489 au « tsunami numérique » et ont remporté un succès certain. Mais la force d’inertie des institutions a eu raison des promesses d’ISO 15489.

Alors, ISO 15489, délaissée, a quitté le champ de bataille ; elle s’est perdue dans les nuages ou a fini par se percer le flanc… Quel que soit le mode opératoire de sa disparition, elle n’est plus là et les entreprises doivent se débrouiller avec d’autres références naissantes qui risquent de disparaître à leur tour. Cent fois sur le métier…

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Les six catégories de ‘records’ d’InterPARES http://transarchivistique.fr/les-six-categories-de-records-dinterpares/ Sun, 29 Jun 2014 20:43:56 +0000 http://transarchivistique.fr/?p=443 Continuer la lecture ]]> Le groupe de recherche international pluridisciplinaire InterPARES, créé et dirigé depuis 1997 par Luciana Duranti, professeur à l’École des bibliothèques, archives et sciences de l’information de Vancouver (Colombie britannique, Canada) contribue activement à élaborer la théorie archivistique du XXIe siècle.

InterPARES a lancé en 2013 son 4e projet, nommé InterPARES Trust consacré à la confiance numérique et dont j’ai l’honneur d’être le partenaire français.

Tout au long de ses travaux, InterPARES a construit un glossaire, intégré à la base de données « Terminologie archivistique multilingue » mise en ligne l’an passé par le Conseil international des Archives.

Ce glossaire comporte notamment un groupe de six qualificatifs et de leurs définitions intitulé « The six categories of records », inspiré par Luciana Duranti qui a notamment écrit à la fin du siècle dernier : « Le records management trouve ses racines dans la diplomatique ».

Les étudiants de mon ex-enseignement au CNAM sont familiers de ces six catégories de documents d’archives d’InterPARES mais il est étonnant et regrettable que ces définitions ne soient pas plus connues, débattues, pratiquées en France.

Voici les six termes et leurs définitions, en anglais et en français (j’ai ajouté en français quelques exemples) :

Ip-DisrecDispositive record. A retrospective record whose purpose is to put into existence an act, the effects of which are determined by the writing itself; that is, the written form of the record is the essence and substance of the act.
Décision. Un document qui énonce une action à exécuter en précisant les effets attendus ; ce qui signifie que l’écrit constitue l’essence et la substance de l’acte. Ex : délibération, arrêté.

Ip-ProrecProbative record. A retrospective record for which the juridical system requires a written form as evidence of an action that came into existence and was complete before being manifested in writing.

Contrat. Un document dont la forme est conditionnée par le droit en vue de prouver un acte conclu et réalisé avant d’être consigné par écrit. Ex : contrat notarié (« authentique ») ou contrat sous seing privé.

Ip-InsrecInstructive record. A prospective record that contains instructions about executing an action or process.

Instruction. Document qui décrit les actions à mener pour mettre en œuvre une décision ou un processus. Ex : procédure, circulaire, mode opératoire, manuel, lettre de mission.

Ip-NarrecNarrative record. A record constituting written evidence of activities that are juridically irrelevant.

Rapport. Document qui relate et trace des faits dépourvus de valeur juridique. Ex : rapport d’enquête, rapport d’étonnement, récit.

Ip-SuprecSupporting record. A retrospective record constituting written evidence of an activity that does not result in a juridical act, but is itself juridically relevent.

Pièce justificative. Trace écrite d’une action qui, sans constituer un acte juridique, est juridiquement recevable. Ex : devis associé à la commande, tableau de choix associé à la décision de choix.

Ip-EnarecEnabling record. A prospective record encoded in machine language that is actively involved in carrying out an action or process.

Document auxiliaire. Programme [informatique] indispensable  la réalisation d’une opération ou d’un processus. Ex : formulaire, formules de calcul ou de mise en forme.

Ma traduction n’est pas littérale car j’ai voulu privilégier la compréhension du message. La traduction systématique, mot à mot, en particulier de « record » qui fait partie du nom des six catégories, aurait inévitablement alourdi et compliqué les définitions. Les substantifs de la langue française utilisés ici pour restituer les types de record ou de document sont plus variés (décision, trace, écrit, instruction, rapport, pièce justificative…) et incluent le qualificatif associé à « record ». La preuve que le français n’est pas systématiquement plus long et plus lourd que l’anglais…

Si on réfléchit un peu, il apparaît que ces catégories archivistiques d’InterPARES sont très simples, basées sur les rôles principaux que jouent les traces écrites dans les relations entre les personnes, pour la constitution de la preuve et de la mémoire. Ces catégories relèvent de la diplomatique universelle (décision unilatérale, contrat, rapport, pièce justificative…) et elles font écho à des réalités de la vie documentaire quotidienne. Pourtant, elles ne sont pas très visibles en France et surtout peu utilisées et peu valorisées.

Ce qui me séduit le plus dans cette catégorisation des documents à archiver (records), c’est la simplicité, l’exhaustivité et le non recouvrement des six catégories. Il est extrêmement réconfortant de se dire que six cases suffisent pour évaluer de manière pertinente l’ensemble des documents engageants et de mémoire qu’il faut conserver, et les répartir dans une structure logique qui permet d’appréhender en un clin d’œil les priorités et les enjeux.

6 catégoriesJe dois avouer cependant que la dernière des six catégories (enabling record / document auxiliaire) ne m’a pas totalement convaincue dans sa forme actuelle. Le caractère exclusivement informatique de cette catégorie (machine language) ne correspond pas au principe de valeur universelle dont je parlais plus haut ; une catégorisation universelle (ce que je veux continuer à voir dans cette approche d’InterPARES) devrait s’appliquer à toute trace écrite quel qu’en soit le support. Cependant, la notion d’écrits qui ne représentent rien d’engageant en eux-mêmes mais qui sont indispensables à la production d’une décision (tous les éléments logiciels qui entrent dans les systèmes comptables ou de production de tarif par exemple) existe aussi, d’une façon beaucoup plus sobres dans l’environnement papier, me semble-t-il ; ce sont d’une part les registres et formulaires pré-imprimés (vierges), d’autre part les modes de calculs et autres barèmes qui sont autant d’outils (auxiliaires) pour la production d’une décision « papier » complète.

J’ai délibérément ignoré dans un premier temps deux qualificatifs importants des définitions anglaises, sur lesquels je reviens maintenant. Il s’agit des termes prospective et retrospective, que l’on peut traduire simplement en français par prospectif et rétrospectif. Ces deux termes apportent une précision sur le contexte de production des documents qui engagent leurs auteurs en les classant de manière binaire dans deux ensembles très intéressants quand on se penche aujourd’hui sur la conception d’une chaîne de dématérialisation :

  • ceux qui sont produit après les faits qu’ils consignent, rétrospectivement, comme une décision écrite après l’accord oral des membres du comité de direction ;
  • ceux qui sont produits avant la matérialisation des faits qu’ils visent, comme les procédures à suivre.

Cette typologie, basée sur le mode de production des écrits, orientée sur la valeur de l’écrit et le rôle que joue et pourra jouer le document, est très structurante. Elle peut véritablement aider le professionnel de l’information, confronté à la nécessité de qualifier un document pour statuer sur la bonne règle de conservation à lui appliquer, en lui fournissant un cadre de lecture solide et efficace, parce que simple et atemporel.

J’approfondirai et illustrerai davantage ces notions fondamentales dans le stage de diplomatique de novembre 2014.

 

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