Combien de temps faut-il conserver les comptes rendus des entretiens d’évaluation des collaborateurs? Je dis « comptes rendus » car l’entretien est un événement, un échange verbal entre un collaborateur et son manager (le terme est plus soft que supérieur hiérarchique) qui fait l’objet ou non d’un écrit. Cet écrit peut être intitulé compte rendu ou note d’évaluation ou encore fiche d’entretien annuel d’évaluation.
Si la réponse à cette question était blanche ou noire, ça se saurait. Il n’existe pas d’article de loi disant explicitement « les comptes rendus des entretiens d’évaluation doivent être conservés X années et détruits après ». La pratique est grise, comme souvent. Elle est basée sur l’usage de ces documents (loin des yeux, loin du cœur, les documents non consultés ont tendance à être détruits au bout d’un temps. Elle est liée au classement (si les comptes rendus d’entretien sont classés en chrono ou s’ils sont versés au dossier de chaque collaborateur, la question se pose différemment). Elle peut être plus complexe s’il existe plusieurs exemplaires de ce compte rendu, chez le manager du collaborateur et à la DRH. Enfin, elle peut être influencée par la technologie (une entreprise qui les éliminait au bout de trois ans, a décidé, au moment de leur dématérialisation, de les conserver sans limitation de temps, puisque l’outil permet de tout stocker…).
La réponse à la question dépend, comme pour de nombreux documents qui suscitent la même interrogation, de la réponse préalable à quatre autres questions :
- qu’est-ce que la durée de conservation ?
- qu’est-ce qu’un compte rendu d’entretien d’évaluation ?
- quelles sont les dispositions réglementaires qui éclairent la question ?
- quel est le risque et l’intérêt de les conserver ou de les détruire ?
La durée de conservation
La durée de conservation d’un document est le nombre d’années pendant lequel un document doit être gardé sous la responsabilité de son propriétaire (émetteur ou destinataire) en raison d’une obligation légale, d’un risque lié à la disparition de l’information ou de la trace des faits portés par ce document, ou encore d’un besoin d’exploitation des données contenues dans ce document pour la poursuite de son activité.
L’expression durée de conservation est l’expression que l’on trouve en France dans les codes de loi. Son l’équivalent anglais est retention period.
La durée de conservation démarre du jour où le document est engageant (signature, transmission) même si la date de fin de conservation (le terminus ad quem) n’est pas encore connue car liée à un événement non encore survenu.
La durée légale de conservation, qui vise un document, ne doit pas être confondue avec le délai légal de prescription, qui vise un fait.
La durée légale de conservation ne doit pas être confondue non plus avec la durée de validité qui correspond au temps où le document produit son effet. Une délégation de signature peut être caduque au bout d’un an mais il peut être utile six ans plus tard de pouvoir prouver que le bénéficiaire de cette délégation avait bien le droit de signer tél document. À noter que tous les documents n’ont pas une durée de validité ; un constat n’a pas en soi de durée de validité ; il dit qu’il s’est passé quelque chose ce jour là, point. Un compte rendu d’entretien annuel d’évaluation est un constat.
Il existe très peu de durées légales de conservation. La durée de conservation est selon le cas :
- la durée réglementaire,
- le délai de prescription,
- le produit de la somme « durée de validité + délai de prescription »,
- la durée d’usage.
Compte rendu ou fiche d’entretien d’évaluation
L’entretien d’évaluation n’a qu’une dizaine d’années d’ancienneté. Au début des années 2000, on en rencontrait parfois dans les entreprises les plus en pointe sur les questions RH mais il était qualifié de « nouveau document ».
L’entretien annuel d’évaluation se généralise à partir de 2003. Il n’est pas obligatoire dans le secteur privé, au contraire de l’entretien professionnel qui a lieu tous les deux ans, mais, une fois que l’entreprise a décidé d’en faire, elle doit s’y tenir annuellement. L’entretien est à l’initiative de l’employeur.
L’entretien annuel d’évaluation est engageant : le responsable hiérarchique et le salarié échangent des informations sur le passé et sur l’avenir, sur des objectifs de travail et des objectifs de rémunération, qui serviront de référence à la prochaine évaluation. La fiche ou le compte rendu de l’entretien est donc un document engageant, au travers de la signature des deux « parties » qui reconnaissent la teneur de l’entretien.
Pour le salarié, le compte rendu trace l’expression de ses attentes vis-à-vis de sa hiérarchie, en termes de formation, de mutation, de réévaluation du salaire, d’organisation, d’objectifs de carrière, etc.
Côté entreprise, le compte rendu est d’abord un outil de management pour le suivi des objectifs et, plus spécifiquement pour la DRH, pour la mobilité, les compétences, voire les risques psycho-sociaux.
Pour les deux, le compte rendu peut être un document justificatif dans le cadre d’une réclamation ou d’un contentieux mettant en cause ce qui aurait été dit ou pas au cours de l’entretien, qu’il s’agisse d’objectifs opérationnels, de rémunération, de harcèlement ou de discrimination syndicale ou autre chose.
Sauf erreur, il n’existe pas de formulaire CERFA pour les entretiens d’évaluation. Il existe des dizaines de modèles, proposés par des cabinets de conseil ou définis en interne. Une fiche ou un compte rendu d’entretien d’évaluation fait de 2 à 10 pages. Le compte rendu existe au minimum en un exemplaire original (en principe à la DRH) mais le manager en garde souvent une copie. Dans certaines entreprises, le salarié est également destinataire d’une copie.
Petit calcul pour le support papier : pour une entreprise de 1000 collaborateurs, cela représente donc (je ne compte pas les sous-chemises et les agrafes) : 1000 x 2 à 10 feuillets x 2 exemplaires = 4000 à 20000 feuilles, soit, sur la base de l’équivalence 800 feuilles par boîte d’archives, un volume de 0,5 à 2,5 mètres linéaires par an.
Il est recommandé sur de nombreux sites que l’original soit conservé dans le dossier du personnel mais il y a fort à parier que la réalité est un peu différente. J’ai vu personnellement des séries de boîtes remplies de comptes rendus d’entretien annuel d’évaluation, donc hors dossiers nominatifs des collaborateurs, libellées du nom du logiciel correspondant.
La dématérialisation se développe dans le domaine avec des logiciels spécialisés : Adequasys, Inser, Foederis, etc. Mais, comme dans la plupart des applications métiers, la gestion de la destruction n’est pas prévue…
Par ailleurs, il faut distinguer la production de la fiche (saisie en ligne dans un formulaire) et la validation (validation numérique du salarié et de son manager, ou signature papier de l’impression de la fiche ?).
Dispositions réglementaires relatives à l’entretien d’évaluation
À défaut d’un texte universel indiquant clairement la durée de conservation des fiches d’entretien d’évaluation, plusieurs textes sont à prendre en considération :
- le délai de prescription civile (article 2224 du code civil, depuis la loi du 17 juin 2008) : les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ;
- l’article L3245-1 du code du travail (loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013) : « L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. »
- l’article L1134-5du code du travail (prescription de 5 ans en matière de discrimination), les articles 7 et 8 du code pénal portant prescription en matière de crime (10 ans) et de délit (3 ans) relative à la prescription en matière de crime (10 ans) ;
- l’arrêté de la ministre de la culture et de la communication et de la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique du 21 décembre 2012 relatif à la composition du dossier individuel des agents publics géré sur support électronique. Ce texte aborde la conservation du « Compte rendu d’évaluation (compte rendu de l’entretien d’évaluation ou compte rendu de l’entretien professionnel). Il préconise une conservation de 15 ans dans le bureau (ce que le texte appelle « durée de conservation en gestion courante », expression logistique totalement confusante) puis un « archivage intermédiaire » (qui démarre au bout de 15 ans !) jusqu’aux 80 ans révolus de l’agent, ce qui est particulièrement difficile à appliquer, 90% des DRH gérant les dossiers des collaborateurs à compter de leur date de départ et non en fonction de leur âge.
- les recommandations de la CNIL, avec :
- ce qui concerne les données personnelles en général, dont la destruction est recommandée quand les données ne sont plus utiles ;
- l’avis particulier sur l’entretien annuel d’évaluation où on lit : « Les données d’évaluation ne peuvent être conservées au-delà de la période d’emploi de la personne concernée. Toutefois, il est possible de conserver ces informations plus longtemps, notamment lorsqu’il s’agit de se prémunir contre une éventuelle action en justice d’un ancien salarié. Il faut alors les stocker sur un serveur spécifique, accessible à un nombre limité de personnes et prévoir une traçabilité des opérations consultation. » La CNIL (c’est son rôle) insiste sur les questions d’accès mais la position en matière de durée de conservation est assez discrète avec un maximum ne dépassant par la période d’emploi.
La nouvelle directive européenne relative à la conservation des données personnelles éclairera peut-être la question.
Risque et intérêt de conserver ou de détruire
La règle n’est ni unique ni absolue. C’est à chaque entreprise de fixer la règle de conservation de ses comptes rendus d’entretien annuel d’évaluation, en fonction des paramètres suivants :
- obligation réglementaire ou non (arrêté ministériel du 21 décembre 2012 pour les services publics),
- nature des informations (plus ou moins détaillées, plus ou moins factuelles),
- risque à conserver ces documents : sont-ils susceptibles d’être utilisés à des fins non autorisées ou à charge de l’entreprise ?
- risque à détruire ces documents : quelle est la durée d’utilité réelle de ces documents pour la gestion des collaborateurs (mobilité, compétence, gestion personnelle…)
- coût de conservation : le stockage n’est pas excessivement onéreux mais il est toujours trop cher s’il ne sert à rien ; si je reprends mon exemple d’un établissement de mille salariés, on peut aller jusqu’à un volume papier de 2,5 ml x 50 ans = 125 ml, soit 25 armoires, autant que la place qu’occupe la collection des contrats d’un grand groupe, c’est beaucoup…
- faisabilité de tri et de destruction : si les comptes rendus sont classés dans les dossiers papier des collaborateurs, leur destruction avant le reste du dossier nécessite un tri qui a un coût ; le problème existe également pour le dossier numérique si la nature spécifique de ces documents n’est pas indexée en vue de cette destruction.
Autres questions :
- Si le salarié en détient un exemplaire, il peut s’en considérer propriétaire. Est-il pour autant légitime à en faire état publiquement ou lors d’un contentieux sans limitation de durée ? Faut-il considérer que les données personnelles contenues dans le compte rendu ne concernent que le salarié ou également son responsable hiérarchique ?
- Quand le responsable hiérarchique quitte son poste, que devient son jeu de comptes rendus d’entretiens annuels d’évaluation ? Peut-il les emporter avec lui ou est-il tenu de les laisser dans le poste ? Son successeur peut-il y avoir accès ? Le cas échéant sur vingt cinq ans ?
- L’entreprise peut-elle s’appuyer sur les comptes rendus d’entretien d’évaluation pour se retourner contre le salarié lorsque les objectifs prévus n’ont pas été atteints et que ceci est dommageable à l’entreprise (perte de marché, contentieux…) ?
- Quel salarié a vraiment envie que les comptes rendus de ses entretiens annuels d’évaluation soient conservés dans l’entreprise pendant vingt ou trente ans ? Quid du droit à l’oubli ?
- Que se passe-t-il quand l’entreprise est rachetée ? La nouvelle DRH est-elle légitime à exploiter des informations qui remonteraient vingt ans en arrière ?
La liste n’est pas fermée…
Une fois la durée de conservation choisie et motivée, il serait sans doute opportun de consulter les instances représentatives du personnel sur la durée de conservation retenue.
Il y a un an, le cabinet HRValley concluait d’une enquête auprès d’un DRH de grandes entreprises que l’entretien d’évaluation est « un outil devenu opaque et peu adapté aux attentes des managers comme des salariés ». S’il venait à disparaître dans sa forme actuelle, il serait remplacé par autre chose et le document qui trace l’échange entre employeur et salarié aurait un autre nom et un autre contenu, ce qui ne change rien à la problématique archivistique des documents engageants.
En vous, savez-vous comment cela se passe dans votre entreprise ou organisme ? Y a-t-il eu plusieurs formules de comptes rendus depuis la mise en place ? Combien d’exemplaires sont établis ? Sur quel support sont-ils validés ? Quel volume représentent-ils ? Comment sont-ils classés ? Combien de temps sont-ils conservés ? Sont-ils consultés, pourquoi et pendant combien de temps ? En avez-vous déjà détruit ?
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