Le registre des délibérations municipales est le document d’archives par excellence de chaque commune française. La période électorale qui s’achève est une occasion de le rappeler.
Lors de dans mon stage de fin d’études dans un service d’Archives départementales, j’ai appris qu’il convenait lors d’une inspection d’archives communales (j’ai effectué environ trois cents inspections dans les années suivantes) de porter attention à quatre documents principaux : le Journal officiel, l’état civil, les documents cadastraux et le registre des délibérations. Mais ce dernier est bien le plus important d’abord parce qu’il est unique (le Journal officiel existe en X exemplaires), l’état civil et le cadastre en deux exemplaires, mais surtout parce que les trois autres documents émanent de l’autorité administrative nationale ou départementale (le maire n’est qu’un relais de l’État dans son rôle d’officier d’état civil ou dans le fonctionnement des services fiscaux), tandis le registre des délibérations est l’expression directe de la collectivité territoriale.
Or, je m’inquiète doublement sur l’attention portée par la collectivité à ce document essentiel à sa mémoire :
- quand je constate que la DUA (durée d’utilité administrative) préconisée par l’administration des Archives est de un an ;
- quand je lis, sur divers sites Internet, des choses très floues sur la « dématérialisation » des délibérations.
DUA de 1 an !
L’instruction DAF/DPACI/RES/2009/018 du 28 août 2009, intitulée Tri et conservation des archives produites par les services communs à l’ensemble des collectivités territoriales (communes, départements et régions) et structures intercommunales, rappelle que en application du code général des collectivités territoriales, les communes ont obligation de tenir un registre des délibérations sur papier, soit en écrivant directement dans un registre coté et paraphé, soit écrivant sur les feuillets mobiles, reliés a posteriori (en fin d’année, ou tous les cinq ans pour les petites communes). L’introduction de l’instruction rappelle également les éléments minimum à consigner par écrit : un résumé des séances, les décisions (résultat des délibérations) et le détail des votes.
À noter que le décret n° 2010-783 du 8 juillet 2010 a modifié (simplifié est-il écrit) le code général des collectivités territoriales en délégant du préfet au maire la responsabilité de coter et parapher les registres et le choix d’utiliser ou non des feuillets mobiles. Ce décret n’intervient pas dans les règles de conservation.
Revenons au « tableau de tri » des archives territoriales de 2009 qui indique pour chaque « typologie de document », une « DUA » et un « Sort final ». Avant d’aller plus loin, il convient de rappeler les définitions de DUA et de sort final :
« La DUA ou durée d’utilité administrative recouvre les deux premiers âges des archives (courantes et intermédiaires). Matériellement, ces deux âges peuvent se traduire par un déplacement des documents entre les bureaux des agents traitant les affaires et un local de pré-archivage, plus éloigné des bureaux. Cette durée, qui court à compter de la clôture du dossier, correspond au temps pendant lequel les documents doivent être conservés dans les locaux des services producteurs, soit en vertu des prescriptions réglementaires, soit parce qu’ils restent nécessaires ou utiles à la bonne marche des services ou à leur information » (extrait de la même instruction).
Sort final : « expression d’usage courant pour désigner le traitement final des documents » (Dictionnaire de terminologie archivistique des Archives de France 2002) avec trois possibilités : « C » pour conservation définitive et intégrale des documents dans le service public d’archives, « T » pour tri ou « D » pour destruction intégrale et définitive.
Pour plus de précision, il faut rappeler également la définition d’archives intermédiaires, citée dans la définition de DUA : « documents qui, n’étant plus d’usage courant, doivent être conservés temporairement, pour des besoins administratifs ou juridiques |…] » (Dictionnaire de terminologie archivistique susmentionné).
Donc, en parcourant cette instruction, je remarque que les délibérations (bizarrement, le mot de registre n’apparaît pas) est classé dans la rubrique 2 « Délibérations, actes administratifs et contrôle de légalité » avec une durée d’utilité administrative d’un an, la même que les extraits de délibérations !
Et je dois avouer que je ne comprends pas. Certes le « sort final » des délibérations est la conservation intégrale et je n’ai aucun doute sur le sérieux des archivistes communaux pour conserver ce document majeur. Mais je m’interroge, une fois de plus, sur le sens archivistique de DUA. En effet, si je me réfère aux définitions ci-dessus, j’en conclus que le registre de délibérations communales n’a pas besoin d’être conservé pour des besoins administratifs ou juridiques au-delà d’un an, ce qui est tout de même violent. Qui peut croire cela ?
D’aucuns ou d’aucunes m’objecteront que le registre de délibérations a une valeur historique dès sa création. Certes ! Alors, dans ce cas pourquoi un an ? Pourquoi pas deux ans, ou un an et demi, ou un an trois quart ? Pourquoi pas « 0 » ou « immédiat » ou « dès le retour du contrôle de légalité », ce qui reviendrait à adopter véritablement la logique du records management qui considère comme « records » les documents dès leur création, c’est-à-dire dès leur validation, dès qu’ils font effet ? We should have, then, permanent records, and not archives ; that makes a difference.
Si quelqu’un peut m’expliquer la justification du « 1 an », je suis preneuse !
La notion de DUA, décidément, est bien floue. Et son utilisation dans ce cas participe d’une déresponsabilisation des conseillers municipaux face à ce document particulièrement engageant de leur activité fondamentale : celle de faire des choix d’organisation de la vie de leurs concitoyens, choix dont ils sont comptables devant la collectivité et devant l’Histoire. Avec une « DUA » d’un an pour les registres de délibérations, les élus auront beau jeu de penser : après un an, ce n’est plus mon problème. Déjà que le degré de conscience archivistique des élus n’est pas un motif de réjouissance, n’y aurait-il pas lieu au contraire de chercher à les responsabiliser un peu plus ? La DUA se révèle finalement comme une durée pour archivistes (le délai après lequel ils peuvent prendre possession des précieux registres) et non une durée destinée à alerter le producteur sur sa responsabilité de conservation.
C’est cette scission entre la vie communale quotidienne et le monde des archives qui m’inquiète.
Dématérialiser, oui, mais quoi au juste ?
Que la DUA se rassure ! Elle n’est pas seule à être dans le flou. La dématérialisation n’est pas plus claire.
Quelques phrases collectées sur Internet au sujet de la dématérialisation des délibérations municipales :
Registre des délibérations: la simplification, avant la dématérialisation?
« Dans le cadre de la dématérialisation des actes juridiques et de leur transmission, il reste des étapes de re-matérialisation obligatoires. La tenue du registre des délibérations en fait partie, mais ses modalités viennent d’évoluer, avec notamment la reconnaissance de la valeur complémentaire d’une version numérique. » ;
et, citant le décret de juillet 2010 : « La tenue des registres peut également être organisée à titre complémentaire sur support numérique. L’exemplaire sur support numérique a alors une valeur de copie ».
source http://www.e-bourgogne.fr/jsp/site/Portal.jsp?page_id=41&document_id=801&dossier_id=614Conseil municipal numérique
Depuis la fin de l’année 2012 – début 2013 un grand pas a été fait puisqu’aujourd’hui le conseil municipal de Saint-Médard-en-Jalles est totalement dématérialisé. La mise en place d’une dématérialisation totale pour un conseil municipal tout numérique s’est fait en plusieurs phases.
• les projets de délibération sont créés sur la plateforme Webdelib
• …
• durant le conseil les votes sont également dématérialisés puisqu’ils sont directement entrés dans la plateforme webdelib ;
• les délibérations du conseil municipal sont ensuite transmis à la préfecture via la plateforme sécurisée Slow.
• les différents comptes-rendus et PV des conseils municipaux sont ensuite mis en ligne sur le site de la ville à disposition de tous les administrés.
Tout comme les délibérations, les arrêtés du maire ainsi que les décisions municipales sont édités via la plateforme Webdelib et soumis par ce biais au circuit de validation.
source http://www.saint-medard-en-jalles.fr/votre-mairie/conseil-municipal/742-conseil-municipal-numerique.htmlPermettre la publication des actes sur support électronique
S’il est possible depuis 2005 de transmettre de manière dématérialisée les actes soumis au contrôle de légalité, leur publication doit cependant demeurer en version papier. L’objectif de cette mesure est de permettre aux collectivités une dématérialisation de bout en bout des actes en autorisant leur affichage électronique.
source http://www.ensemble-simplifions.fr/node/996Signature des délibérations du conseil municipal
Réponse du Ministère chargé des collectivités territoriales à la question d’un sénateur : « L’article L. 2121-23 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que « les délibérations sont inscrites par ordre de date. Elles sont signées par tous les membres présents à la séance ou mention est faite de la cause qui les a empêchés de signer ». Ces dispositions concernent l’exemplaire original des délibérations inscrites sur un registre coté et paraphé par le maire (article R. 2121-9 du CGCT)».
source http://www.senat.fr/questions/base/2011/qSEQ111121110.html
La gestion des délibérations avec E-Délibérations
« Concrètement, e-Délibérations couvre la gestion des actes administratifs (délibérations, arrêtés) et celle des assemblées délibérantes, depuis l’établissement des actes (rédaction du projet d’acte par le service, remontée et mise en forme de l’acte par le Secrétariat de l’Assemblée), la convocation des élus au Conseil municipal (module bientôt disponible), jusqu’à l’envoi dématérialisé à la préfecture, et l’archivage dans une base de données interne».
source http://www.o-tan.fr/art_theme_ina.php3?id_article=2995&id_mot=56&debut_art=25
E-PARAPHEURS.COM : signer ou valider une délibération, comme dans un parapheur papier, mais à distance et sous forme électronique.
Le E-parapheur permet de faire circuler une délibération dans l’organigramme de la collectivité, jusqu’à la signature électronique par l’élu, et avant son transfert en Préfecture.
source http://www.e-parapheurs.com/usages-parapheur-electronique-et-deliberations
Ces lectures me titillent :
- que veut dire « re-matérialiser » le registre vu qu’il n’a pas encore été produit ?
- que veut dire « éditer » les décisions ? Est-ce au sens français de publier ou au sens anglais de modifier ?
- que veut dire « publication » des délibérations ? Est-ce la même chose que « affichage » ?
- que veut dire « archivage dans une base de données interne » ? Est-ce autre chose que du stockage ?
- la version numérique des délibérations est qualifiée de « copie » mais (si je comprends bien) elle est produite avant le registre et sert justement à son établissement ; dès lors, ce ne peut être une « copie » mais plutôt un double ou une minute;
- quelle différence faut-il voir dans ces citations entre les verbes signer, valider et parapher?
- etc.
On touche ici du doigt le flou du vocabulaire utilisé par les acteurs de la dématérialisation. Comment progresser avec des mots approximatifs et polysémiques ? Comment accepter cette régression terminologique quand on pense qu’il y a quelques décennies la langue administrative française était un modèle de précision ?
Surtout, ces discours sur la dématérialisation des délibérations donnent à penser que le registre (papier) est secondaire alors qu’il continue à être considéré par les textes officiels comme le seul original. C’est vrai que si sa durée d’utilité est fixée à un an…
Loin de moi l’idée de critiquer l’apport des technologies numériques à la phase d’ établissement d’une délibération de l’ administration municipale, à la diffusion aux élus des projets avant la réunion du conseil, au processus de vote avec le vote électronique, ou à la transmission des actes au contrôle de légalité ; le gain d’une dématérialisation bien menée est largement prouvé. Mais il convient d’avoir une vue d’ensemble du processus délibératif et de ne pas marginaliser le document majeur qui en est issu, à savoir la collection des délibérations.
Certains vont jusqu’à prôner la production d’un « registre » nativement numérique, sans aucun papier ni avant ni après le vote, autrement dit d’une « base de données » (héritière du registre) originale des délibérations communales. Il n’y a pas de principe pour ou contre mais il faut rappeler que le numérique n’est pas une fin en soi. C’est un moyen. La question est donc d’analyser le retour sur investissement d’une telle opération. Or, quand on voit, d’une part, le nombre de communes françaises incapables de tenir des registres de délibérations papier dans de bonnes conditions de qualité et de conservation, quand on considère, d’autre part, le coût des migrations technologiques (formats et supports) associé à la pérennisation de ces documents historiques, on se dit rapidement qu’il est prématuré de dématérialiser le registre de délibérations (même si la loi l’autorisait) et qu’il y a bien d’autres projets de bon sens à conduire et à réussir avant celui-là.
Le numérique n’est pas le vainqueur du papier qui serait appelé à disparaître (le livre n’a pas tué le manuscrit). Le numérique et le papier doivent être utilisés conjointement, au mieux, pour préserver les traces des décisions et la mémoire collective.